Depuis le 5 octobre 2017, les violences sexuelles, la culture du viol et la question du consentement sont devenues des questions librement débattues sur la place publique. Elles ont au moins autant envahi la sphère littéraire que l’univers cinématographique, les ouvrages de Vanessa Springora et de Camille Kouchner, Le Consentement et La Familia Grande, ayant servi de retentissantes ondes de choc. Côté cinéma, même si le sujet occupe largement les esprits, force est de constater que peu de films se sont finalement colletés au sujet. En commençant par The Assistant de Kitty Green, – assez anodin et anecdotique, jouant surtout sur le hors-champ, – qui n’est même pas sorti en salles, il est possible de compter sur les doigts d’une seule main les films qui ont traité la question : le divertissant Scandal, trop plaisant pour se révéler dérangeant, de Jay Roach, le film de chevalerie médiévale, Le Dernier Duel de Ridley Scott, un peu trop manichéen et imparfait scénaristiquement parlant, et en France, désormais Les Choses humaines, de Yvan Attal, qui nous occupe ici, adaptation du roman éponyme, très intéressant de Karine Tuil, Prix Interallié et Goncourt des Lycéens en 2018. Les précédents traitements du sujet arboraient pour principal défaut un manichéisme trop rédhibitoire qui empêchait d’adhérer à la complexité humaine des personnages. Quid des Choses humaines qui revendique justement cette part d’humanité dans son titre-même?
Fils de Jean Farel, journaliste politique et star de la télévision, et de Claire Farel, essayiste féministe, Alexandre Farel, brillant étudiant à Stanford, se remet difficilement de sa rupture avec Yasmina Vasseur, conseillère politique. Un soir, il fait la connaissance de Mila, la fille de Adam Wizman, le nouveau compagnon de sa mère. Il l’emmène en soirée, la fait boire, lui propose de fumer de l’herbe…Le lendemain, il sera accusé de viol par Mila. Mais qui peut affirmer exactement la vérité de ce qui s’est passé ce soir-là?
Les Choses humaines possède l’immense mérite de poser le débat en respectant le principe du contradictoire mais souffre d’un excès d’intentions qui alourdit la démonstration
Il faut reconnaître à Yvan Attal un certain courage d’avoir choisi d’aborder un tel sujet qui l’éloigne provisoirement des jolies comédies agréables et pleines de charme, tournées avec son épouse ou même du divertissement à ressort social comme Le Brio. Les Choses humaines ressemble bien davantage à un film-dossier qui va exposer de manière assez didactique la culture du viol dans laquelle baigne sans le savoir le personnage principal. Car ce qui a pu gêner quelques critiques et leur faire éprouver un malaise persistant, c’est que le film d’Yvan Attal est tourné de manière non manichéenne, du point de vue du possible violeur. La présumée victime est considérée de manière extérieure, pendant tout le film, hormis lors de sa séquence mélodramatique de déposition. Or le choix de ce point de vue était déjà exactement le même dans l’excellent roman de Karine Tuil. La mise en scène nous place donc du côté de l’agresseur potentiel et nous fait même ressentir (oh horreur!) une certaine empathie pour lui.
Par conséquent, par refus du manichéisme, le film bascule dans la défense d’une certaine équité de traitement, allant même jusqu’à nous faire douter de la culpabilité de l’un et de l’innocence de l’autre. Du point de vue du suspense dramatique, cela s’avère plutôt bien conçu de la part d’Yvan Attal. Néanmoins le souci réside dans l’origine du roman et du film, c’est-à-dire l’affaire de Stanford de janvier 2016 où la culpabilité de l’étudiant ne faisait aucun doute, le scandale tenant plutôt à l’indulgence du verdict du juge (six mois de prison dont seulement trois mois ferme pour un crime de viol qui aurait pu mériter une sanction de quatorze ans d’emprisonnement). De plus, la victime de cette affaire a écrit une lettre ouverte qui reste même aujourd’hui le témoignage le plus poignant jamais écrit par une victime de viol. Celle qui était au départ anonyme, étudiante en lettres et artiste contemporaine, a depuis écrit une autobiographie en 2019, faisant preuve d’un authentique talent de plume, sous son véritable nom de Chanel Miller, J’ai un nom (Editions Le Cherche-midi), ouvrage traduit et publié en France en octobre 2021.
Dans le roman puis dans le film, il ne s’agit nullement de nous placer du côté de la victime, mais de nous faire comprendre comment l’étudiant mis en examen a pu agir. L’agression présumée se double d’un rapport de classes en défaveur de Mila, et au bénéfice d’Alexandre, dimension inégalitaire qui était quasiment inexistante dans l’affaire de Stanford, un facteur qui aggrave la domination masculine mise en oeuvre. Sans que cela soit jamais réellement démenti, Mila est parfois présentée comme une affabulatrice et manipulatrice qui chercherait à se venger alors qu’il n’existe pas véritablement de doute sur la réalité de l’acte physique qui a pu exister entre eux. Mila, jeune femme réservée, voire coincée, se trouve donc loin des caricatures de harpies hystériques qui crient haro sur le baudet, en se prévalant à tort et à travers des notions de harcèlement moral ou physique, dont elles ne connaissent même pas les définitions exactes, alors qu’aucun de leurs cheveux n’a même été effleuré. En-dehors de cet aspect, Attal a surtout simplifié les personnages des parents et éradiqué les personnages qui gravitaient autour de Jean Farel (Françoise la fidèle amante, Léo le frère exécuteur des basses oeuvres, Michel Duroc, le meilleur ami de Jean et le parrain d’Alexandre), suppressions qui s’avéraient toutes nécessaires. En fait, ce qui gêne dans le déroulement du film, c’est que le verdict final se révélait être profondément scandaleux dans la réalité alors qu’il apparaît ici presque comme une solution médiane, de compromis, soucieuse de préserver l’intérêt et la vie des deux parties.
Plutôt que de se livrer à un manichéisme binaire peu satisfaisant, Attal préfère donc se réfugier dans un relativisme de bon aloi, en cadrant de manière insistante à la fin de son film le local poubelles fermé pour bien montrer que personne ne saura jamais ce qui s’y est réellement passé. Ce faisant, il préserve un suspense psychologique et dramatique mais dénigre de manière latente la présumée victime. On peut donc se demander si cette prétendue équité de traitement n’est pas en fait bien pire que le mal de la binarité. Alexandre est-il un monstre ou un jeune homme influençable? Mila est-elle une pure oie blanche ou une manipulatrice qui a planifié sa vengeance? Le film d’Yvan Attal se situe dans cette indistincte, indifférenciée et fameuse zone grise où la notion de consentement de la victime pose souvent difficulté. Les Choses humaines possède l’immense mérite de poser le débat en respectant le principe du contradictoire mais souffre d’un excès d’intentions qui alourdit la démonstration et rend certaines situations ou déclamations peu naturelles et sonnant faux, y compris pour des acteurs réputés pour leur spontanéité, cf. Charlotte Gainsbourg. Par conséquent, il est encore loin le temps du grand film #MeToo qui restituerait enfin la densité et la complexité de la toile humaine dans laquelle se débattent les pantins que nous sommes.
RÉALISATEUR : Yvan Attal NATIONALITÉ : française AVEC : Ben Attal, Suzanne Jouannet, Pierre Arditi, Charlotte Gainsbourg, Mathieu Kassovitz, Benjamin Lavernhe, Judith Chemla GENRE : Drame DURÉE : 2h18 DISTRIBUTEUR : Gaumont Distribution SORTIE LE 1er décembre 2021