Développement de son deuxième court métrage, Coqueluche, réalisé sept ans auparavant, L’Epreuve du feu permet à Aurélien Peyre, jeune metteur en scène de 33 ans, de réussir son épreuve du feu personnelle, celle de son premier long-métrage. En se penchant sur la relation en apparence dépareillée entre Hugo et Queen, Peyre traite tout en finesse le regard des autres et le jugement d’appartenance à une classe sociale qui est induit. On s’aperçoit ainsi que le mécanisme d’exclusion se trouve insidieusement à l’oeuvre, pour que les faux jetons triomphent des vraies belles personnes. Remarquablement écrit et interprété, L’Epreuve du feu signe l’entrée dans le cinéma français d’un metteur en scène sensible et subtil, par la création d’un conte moral d’été, comme si Rohmer se confrontait au regard social et avait la verve d’un Kechiche.
Hugo vit en retrait. Il a de bonnes raisons pour cela. Plus jeune, souffrant d’une surcharge pondérale, il a subi les moqueries de ses camarades. Pour y échapper, il s’est mis au sport et a perdu une trentaine de kilos. Pourtant, dans sa tête, il est resté en grande partie l’ancien « petit gros » qui pliait sous les quolibets des jeunes de sa génération. C’est d’ailleurs à la salle de sport, où il continue de venir après sa transformation, qu’il rencontre Queen, une jeune esthéticienne, un peu excentrique, aux faux ongles hyper-longs et ses mèches teintées, riant un peu trop fort à ses propres blagues, du haut de ses semelles compensées.
Remarquablement écrit et interprété, L’Epreuve du feu signe l’entrée dans le cinéma français d’un metteur en scène sensible et subtil, par la création d’un conte moral d’été, comme si Rohmer se confrontait au regard social et avait la verve d’un Kechiche.
Ils tombent amoureux et décident de venir passer leurs vacances, là où Hugo en avait l’habitude dix ans auparavant, sur une île atlantique. Elle le pousse à renouer avec ses copains d’enfance, sans savoir qu’ils l’avaient martyrisé par le passé. Très vite, Queen va devenir le centre d’attention du petit groupe de vacanciers. Hugo va s’apercevoir que les gens ne changent pas, et qu’ils vont lui faire payer à leur manière sa transformation spectaculaire, en essayant de vouer à l’échec sa relation avec la jolie Queen, afin de pouvoir le maintenir dans l’exclusion.
De manière acérée, Aurélien Peyre montre la contamination du regard social qui va faire vaciller le sentiment amoureux d’Hugo. Face à une compagne a priori mal assortie, dont le tempérament méditerranéen, originaire de Toulon, contraste fortement avec sa réserve naturelle, Hugo va finir par se poser des questions, ne paraissant partager que peu de choses avec elle. Combien se sont posés la question face à des partenaires trop ou pas assez intellos, ou bien trop superficiels ou exagérément profonds? Pourtant, Queen, le symbole de la bimbo méditerranéenne, est celle qui possède le plus de coeur et de sincérité ; mais Hugo s’en apercevra sans doute trop tard, se fiant aux apparences et se faisant influencer par des Iago mal intentionnés.
Scénaristiquement, Aurélien Peyre a très bien introduit la comparaison entre classes sociales entre le manoir de Colombe, la jeune bourgeoise un peu snob, et la maison de campagne d’Hugo. De même, se faire inviter sur le bateau des jeunes bourgeois va constituer pour Hugo une sorte de Graal presque inaccessible. Pourtant Queen, paraissant vulgaire à certains, l’est certainement moins, coeur simple et droit, que ces jeunes bourgeois, attachés à leurs privilèges, nés avec une cuiller en argent dans la bouche. Car le sujet tacite du film consiste à se demander où se trouve en fait la véritable vulgarité, celle du coeur plutôt que celle de l’apparence.
Mis en scène de manière étonnamment fluide, sans temps morts, rappelant la limpidité d’un James Gray, L’Epreuve du feu fait également preuve d’une brillante direction d’acteurs : dans sa valse-hésitation entre Colombe, l’étudiante en art, et Queen, l’esthéticienne, Félix Lefebvre (La Passagère) poursuit sa remarquable mue cinématographique, d’adolescent à jeune homme ; incontestable révélation du film, pour son premier rôle au cinéma, Anja Verderosa crève littéralement l’écran en cagole bien plus sensible qu’il n’y paraît ; enfin Suzanne Jouannet (Les Choses humaines) et tous les autres acteurs interprètent parfaitement ces jeunes bourgeois qui vont inconsciemment et mécaniquement reproduire le phénomène de distinction des classes sociales.
En fin de compte, L’Epreuve du feu ressemble à un Conte d’été, où Gaspard, le personnage rohmérien, serait contraint de choisir pour des raisons de convenance et d’appartenance à une classe sociale. C’est aussi et surtout un film d’été, où Hugo, personnage réservé, pourrait être un petit frère du protagoniste de Mektoub my love. Jolie surprise au coeur de notre été cinématographique, belle découverte, L’Epreuve du feu pourrait prendre la relève de Chien de la casse, dans le rayon des sleepers du cinéma français, à savoir ces films qui ne paient pas de mine, dont on n’attendait rien mais qui vous apportent beaucoup.
RÉALISATEUR : Aurélien Peyre NATIONALITÉ : française GENRE : comédie dramatique AVEC : Félix Lefebvre, Anja Verderosa, Suzanne Jouannet DURÉE : 1h45 DISTRIBUTEUR : Paname Distribution SORTIE LE 13 août 2025