C’est dans les terres de son enfance, les vallées de la Clarée, des Cerces et de la Vallouise, que Louise Hémon est allée filmer son premier long métrage de fiction, L’Engloutie. Puisant dans la mémoire collective de sa famille, ses souvenirs glacés, ses légendes murmurées, la réalisatrice formée à l’Atelier documentaire de La Fémis présente à la Quinzaine des Cinéastes une œuvre où se mêlent la rencontre avec l’autre, la confrontation entre modernité et croyances ancestrales, la pression du huis-clos et une sensualité troublante.
1899, dans les Hautes-Alpes. Soudain est un hameau isolé sur les hauts plateaux d’une montagne reculée. Par une nuit de tempête et alors qu’un hiver particulièrement rigoureux s’installe, ses habitants voient arriver Aimée, une jeune institutrice, laïque et républicaine, qui vient enseigner à la poignée d’enfants qui vit là. Mais alors qu’elle commençait à s’intégrer, une avalanche engloutit un premier montagnard.
Lentement mais sûrement, au gré des avalanches, L’Engloutie trouve un dénouement en deux temps, saisissant.
Dans un conte, il faut croire sincèrement à chaque personnage pour accepter la part d’étrangeté ou de magie qui pointe au fil des pages. Dans L’Engloutie, le casting mêlant professionnels et montagnards du coin est son atout majeur : il faut écouter les grand-mères et leur dialecte occitan au coin du feu, l’accent des gamins, la diction ancienne parfaitement restituée d’Aimée. Ici, les vaches ne font pas “meuh”, elles font “brou brou”… Il faut sentir dans les gestes et attitudes de ces hommes et femmes à quel point ils sont isolés, s’attarder sur ce garçon (Daniel, la « patate trop bouillie », joué par un comédien amateur) abandonné par ses parents et qui nous pose la question de la consanguinité dans une telle communauté. Ici, le huis-clos est quasi-total, et c’est Aimée qui vient troubler l’équilibre avec sa mappemonde et son carnet qui fait peur aux anciens car, « si on écrit une histoire, elle disparaît ».
Face à un monde recroquevillé sur lui-même, la jeune institutrice tente d’abord de s’intégrer par la raison et les règles qu’on lui a inculquées. Dès son arrivée, elle commence par faire prendre un bain aux enfants, pour leur enlever leurs « croutes » sur le crâne, tentant d’expliquer que cela permet d’éviter les microbes. Peine perdue… Il faudra davantage de souplesse de sa part pour intégrer cette grande famille, s’en faire aimer, danser avec elle le soir du Nouvel An. Avant que les avalanches ne commencent.
Sans que l’on s’y attende, c’est la sensualité qui parle dès les premières pages de ce conte visuel. Alors qu’Aimée dort une première nuit à quelques pas du hameau, la jeune femme (incarnée brillamment par Galatéa Bellugi, déjà nommée aux César pour L’Apparition et Chien de la casse en 2019 et 2024) s’allonge avec un livre de Descartes, dans lequel figure la gravure d’un torse d’homme. Un émoi visuel assez fort pour l’entraîner dans un moment de plaisir solitaire. Et à compter de cet instant, la sensualité s’immisce partout : les regards de côté avec les deux jeunes garçons des familles, Enoch et Pépin, la découverte de leur proximité charnelle, une scène de bain et de stalactite… Louise Hémon filme avec un “female gaze” déroutant et bienvenu.
Avec son esthétique rétro, ses teintes sépia et bleutées, un fort grain, Louise Hémon nous transporte aisément dans cet hiver 1899-1900. Plus encore, ces effets teintent d’un halo onirique, parfois doux ou inquiétant, l’histoire qui se déroule sous nos yeux. Le film fait l’économie des dialogues, au service du réalisme. Lentement mais sûrement, au grè des avalanches, L’Engloutie trouve un dénouement en deux temps, saisissant, et prend alors toute sa force. Il fait partie de ces films où les cinq dernières minutes emportent tout avec elles, et en font une oeuvre au scénario inoubliable.
RÉALISATRICE : Louise Hémon NATIONALITÉ : Française GENRE : Drame AVEC : Galatea Bellugi, Matthieu Lucci, Samuel Kircher DURÉE : 98 min DISTRIBUTEUR : Condor Distribution SORTIE LE 24 décembre 2025