L’Enfant du paradis : un premier film puissant et vibrant

Premier long métrage de Salim Kechiouche, acteur de second rôle chez Abdellatif Kechiche (La Vie d’Adèle, Mektoub, My Love : Canto Uno et Intermezzo), L’Enfant du paradis (superbe titre, référence au film de Marcel Carné et au monde du théâtre) constitue une très belle surprise et l’un des longs métrages les plus intéressants de cette fin d’année 2023.

Après une traversée du désert dans sa carrière de comédien, Yazid voit enfin se profiler le bout du tunnel. Sobre depuis six mois, il veut montrer à sa nouvelle fiancée et à Hassan, son fils de 16 ans, qu’il est maintenant un autre homme qui a repris goût à la vie. Mais en quelques jours, les vieux démons resurgissent et avec eux les souvenirs de son enfance en Algérie.

Pour autant, Salim Kechiouche s’est complètement approprié cette histoire et s’en est éloigné afin d’y intégrer des éléments autobiographiques, comme l’insertion d’images d’archives personnelles

Dès les premières scènes, le ton est donné : malgré une situation qui semble être favorable au personnage principal (un travail de comédien qui décolle enfin, une femme qu’il veut épouser, un fils dont il se sent responsable), des tensions apparaissent. Tels de vieux démons que Yazid cherchait (et réussissait visiblement) à fuir. Le film déroule alors son intrigue dans un film noir âpre et tendu, se dirigeant vers une conclusion inéluctable, un dernier plan qui fait froid dans le dos (mais que l’on se gardera de révéler ici, bien entendu). Coécrit avec Amel Bedani et Sami Zitouni, le film s’inspire librement du destin tragique du comédien et ami d’enfance du réalisateur, Yasmine Belmadi, décédé en 2009 après une fête de fin de tournage. Pour autant, Salim Kechiouche s’est complètement approprié cette histoire et s’en est éloigné afin d’y intégrer des éléments autobiographiques, comme l’insertion d’images d’archives personnelles dans lesquelles on l’aperçoit adolescent en compagnie de sa mère, décédée par la suite (Kechiouche a, en effet, connu des hauts et des bas dans sa propre existence). Ces documents intimes parsèment régulièrement le long métrage et apportent une réelle plus-value à L’Enfant du paradis. Accès direct à l’inconscient du protagoniste, elles tendent à souligner le bonheur à jamais perdu, révolu lié à une enfance heureuse, laissant clairement entrevoir des fêlures, des blessures intérieures qui n’ont jamais cicatrisé ou ne se sont jamais refermées. Ces séquences sont essentielles, elles illustrent toute la difficulté de Yazid à avancer et révèlent aux spectateurs le rapport complexe que ce dernier entretient avec son histoire familiale (il esquive la demande de sa compagne lorsque celle-ci souhaite en savoir plus sur lui). Quelques scènes (très belles), néanmoins, montrent une relation très tendre et affectueuse avec sa grand-mère. C’est d’ailleurs elle qui lui conseille d’aller voir sa sœur, ce qu’il finira par faire dans une scène de retrouvailles d’une grande violence verbale et quasi physique, précipitant la chute de Yazid.

En à peine plus d’une heure et dix minutes, il livre une œuvre très condensée, maniant avec succès l’ellipse, ce que souligne également l’utilisation de cadres serrés, tels de nombreux gros plans, et n’utilisant quasiment jamais de plans larges

Dans un style naturaliste et très réaliste (assez proche de Kechiche qui lui a sans doute servi de modèle), Salim Kechiouche ne s’embarrasse pas de détails superflus, et cela se révèle payant. En à peine plus d’une heure et dix minutes, il livre une œuvre très condensée, maniant avec succès l’ellipse, ce que souligne également l’utilisation de cadres serrés, tels de nombreux gros plans, n’utilisant quasiment jamais de plans larges. Si cet aspect technique peut sembler être lié aux conditions de tournage du film (pour le coup, une vraie production indépendante), il n’en reste pas moins un choix esthétique d’une grande cohérence par rapport à la thématique abordée par le cinéaste.

Enfin, il convient de saluer la qualité générale de l’interprétation : si les seconds rôles (comme Zinedine Soualem ou Gaël Morel, qui lança la carrière de Kechiouche en 1995 dans A toute vitesse) fonctionnent parfaitement, c’est la prestation renversante de Salim Kechiouche lui-même qui séduit le plus. L’acteur-cinéaste fait preuve d’un charisme incroyable et parvient à donner corps au personnage complexe de Yazid, dans ce qui s’apparente également à une réflexion sur le métier (et la vie tumultueuse) d’acteur.

Sans clichés, évitant la caricature et le misérabilisme, Kechiouche réussit, avec L’Enfant du paradis, un film sincère et juste, une véritable déflagration émotionnelle qui atteint le spectateur en plein cœur. Il apparait d’ores et déjà comme un réalisateur dont on attend avec impatience le deuxième long métrage.

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RÉALISATEUR : Salim Kechiouche
NATIONALITÉ : France
GENRE : Drame
AVEC : Salim Kechiouche, Nora Arnezeder, Hassane Alili, Zinedine Soualem
DURÉE : 1h12
DISTRIBUTEUR :  La Vingt-Cinquième Heure 
SORTIE LE 6 décembre 2023