Leila et ses frères : au nom de la famille !

Après la révélation que fut La Loi de Téhéran, son 2e film sorti en France en 2021, la présentation dans le « grand bain » de la Compétition du 75e Festival de Cannes confirme tout le bien que l’on pensait du cinéaste iranien Saeed Roustaee et constitue une œuvre marquante, impressionnante, à la fois par sa durée (2h45) et par l’ampleur du résultat, qui dépasse largement nos attentes.

Leila et ses frères met en scène une famille iranienne croulant sous les dettes et qui se déchire au fur et à mesure de leurs désillusions personnelles. Leila élabore alors un plan : acheter une boutique pour lancer une affaire avec ses frères. Chacun y met toutes ses économies, mais le projet est contrarié quand leur père Esmail promet une importante somme d’argent à sa communauté afin d’en devenir le nouveau parrain.

En quelques plans (qui rappellent la force de son long métrage précédent), le début du film évoque le contexte économique, social et politique : la fermeture brutale d’une usine, suivie d’une manifestation spontanée des ouvriers sévèrement réprimée par les forces de l’ordre. Le cadre est posé mais, pour autant, le chemin que va emprunter par la suite Saeed Roustaee sera celui de la chronique familiale. Le récit se limitera d’ailleurs à quelques lieux dont, le plus important, l’appartement dans lequel vivent Leila, 2 de ses frères et leurs parents.

L’une des grandes qualités, et non des moindres, de cette œuvre est de tenir le spectateur en haleine pendant près de 3h (sans que cela paraisse trop long). Construit autour de ses personnages, Leila et ses frères impressionne par l’ampleur de la narration.

L’une des grandes qualités, et non des moindres, de cette œuvre est de tenir le spectateur en haleine pendant près de 3h (sans que cela paraisse trop long). Construit autour de ses personnages, Leila et ses frères impressionne par l’ampleur de la narration. D’abord étonné voire circonspect même durant la 1ère heure, le spectateur ne peut qu’être emporté au fil d’une intrigue qui gagne en intensité petit à petit pour atteindre des sommets lors d’un final d’une grande beauté et d’une grande tristesse, alliant poésie et émotion (ce fut assurément l’une des plus belles scènes vues à Cannes cette année). Roustaee montre bien entendu la crise, terrible, que traverse son pays et dont sont victimes les habitants. Mais il analyse en profondeur la société iranienne, dominée par le patriarcat et les traditions, autant de freins au développement de l’Iran qui, à l’image de sa jeunesse, veut s’en sortir. Leila, personnage féminin très fort, qui structure cette famille, prononce à ce titre une phrase qui illustre parfaitement cela : « On nous a inculqué des convictions, on ne nous a pas appris à réfléchir. » Le personnage du père incarne parfaitement cet aspect-là. Il est indifférent au sort de ses enfants, semble obnubilé par sa position au sein du clan (histoire de représentation), peu affable et profondément injuste (notamment envers sa femme et sa fille). Et pourtant, il apparait comme émouvant, et suivant sa logique propre. C’est également cela la grande force de ce long métrage : chacun des membres de la famille s’envoie des insultes, se bat mais reste soudé. La relation qui unit Leila et ses frères est passionnante et très juste.

le spectateur ne peut qu’être emporté au fil d’une intrigue qui gagne en intensité petit à petit pour atteindre des sommets lors d’un final d’une grande beauté et d’une grande tristesse, alliant poésie et émotion

Grâce à une mise en scène tendue, d’une délicatesse incroyable et des comédiens tous formidables, Leila et ses frères se pose ainsi en film moral, proposant une réflexion puissante et bouleversante sur la famille, sur la place des femmes au sein de la société, sur l’ascension sociale et dresse une radiographie du pays terrible mais non dénué d’espoir malgré tout.

5

RÉALISATEUR :  Saeed Roustaee
NATIONALITÉ : Iran
AVEC : Taraneh Alidoosti, Navid Mohammadzadeh, Payman Maadi
GENRE : Chronique sociale
DURÉE : 2h45
DISTRIBUTEUR : Wild Bunch Distribution
SORTIE LE 24 août 2022