Mine de rien, Pascal Bonitzer fête avec son neuvième film, Le Tableau volé, quasiment ses trente ans de cinéma en tant que metteur en scène. Ex-critique aux Cahiers du Cinéma, scénariste aguerri et privilégié auprès de Jacques Rivette, André Téchiné, Raoul Ruiz, Chantal Akerman, Anne Fontaine, etc. ,il s’est depuis affranchi de ses mentors et a construit une oeuvre essentiellement composée de comédies entre mélancolie douce-amère et sarcasme ironique. Avec sa distribution grand public (Alex Lutz, Léa Drucker), Le Tableau volé lui permet, à travers une histoire vraie – la découverte d’un tableau disparu d’Egon Schiele, spolié par les nazis, au domicile d’un ouvrier chimiste – de traiter de la commercialisation de l’art et de ses rapports ambigus avec le monde de l’argent.
André Masson, commissaire-priseur dans la célèbre maison de ventes Scottie’s, reçoit un jour un courrier selon lequel une toile d’Egon Schiele aurait été découverte à Mulhouse chez un jeune ouvrier. Très sceptique, il se rend sur place et doit se rendre à l’évidence : le tableau est authentique, un chef-d’œuvre disparu depuis 1939, spolié par les nazis. André voit dans cet événement le sommet de sa carrière, mais c’est aussi le début d’un combat qui pourrait la mettre en péril. Heureusement, il va être aidé par son ex-épouse et collègue Bertina, et par sa fantasque stagiaire Aurore…
Le Tableau volé est ainsi un divertissement de grande classe et de bon aloi, aux dialogues ciselés et aux rapports psychologiques finement étudiés.
A partir de l’anecdote véritable qui s’est déroulée en 2003, Pascal Bonitzer tisse un réseau complexe de personnages et de relations les unissant, entre un commissaire-priseur qui effectue la découverte, son ex-épouse et collègue, une avocate, une stagiaire souffrant de mensonge pathologique et le jeune ouvrier chez qui le tableau a été trouvé. Dans la première partie de son oeuvre, de Encore à Je pense à vous, Bonitzer s’était surtout attaché à dépeindre les tourments et tracas de personnages intellos (prof de philo, critique, journaliste, éditeur), plus ou moins dérivés de lui-même. Alors que, dans Les Envoûtés, il s’était confronté à la manière de Truffaut dans La Chambre verte, à la mort et aux fantômes, son nouvel opus, Le Tableau volé, se rapproche en fait de Tout de suite maintenant, dans sa description d’un univers gangréné par le pouvoir de l’argent : après le monde de la finance, celui de l’art et des salles de vente. Dans cette satire au vitriol, on peut reconnaître le réflexe vengeur de l’ancien gauchiste que Bonitzer n’a cessé d’être au fond de lui.
Pourtant, ressortent surtout de ce film des personnages assez périphériques à ce sujet : Martin (Arcadi Radeff, révélation du film), le jeune ouvrier qui préfère rester fidèle à ses amis et ses valeurs, et Aurore (Louise Chevillotte, l’une des comédiennes les plus prometteuses du cinéma français, déjà vue dans L’Amant d’un jour et Le Sel des larmes de Garrel, Benedetta de Verhoeven, Synonymes de Nadav Lapid, A mon seul désir de Lucie Borleteau), la jeune stagiaire, menteuse invétérée, grâce à qui le spectateur découvre les règles de cet univers codifié du marché de l’art. Grâce à eux, le film devient une réflexion sur l’intégrité et la vérité, en dépassant sa visée de peinture du monde de l’art. On remarquera au passage la présence d’Alain Chamfort dans des apparitions de père quasiment fantomatique, renvoyant indirectement aux Envoûtés.
Dédié à l’épouse de Pascal Bonitzer, la regrettée Sophie Fillières, hommage discret au cinéma décalé de Raoul Ruiz (L’Hypothèse du tableau volé), Le Tableau volé est ainsi un divertissement de grande classe et de bon aloi, aux dialogues ciselés et aux rapports psychologiques finement étudiés. Une comédie qu’on regarde le sourire aux lèvres, bien plus qu’en riant grassement à gorge déployée.
RÉALISATEUR : Pascal Bonitzer NATIONALITÉ : française GENRE : comédie dramatique AVEC : Alex Lutz, Léa Drucker, Nora Hamzawi, Louise Chevillotte, Arcadi Radeff DURÉE : 1h31 DISTRIBUTEUR : Pyramide Distribution SORTIE LE 1er mai 2024