Le Successeur : la puissance du hors-champ

Il est particulièrement difficile de réaliser un deuxième film, lorsque le premier a été un succès retentissant. C’est le cas de Xavier Legrand qui, pour son premier film, Jusqu’à la garde, a recueilli tous les honneurs, dont les César du meilleur film et du scénario original en 2019. Alors que certains se seraient empressé d’enchaîner, il a préféré laisser retomber la pression, en faisant d’autres choses, jouer au théâtre, à la télévision et au cinéma (il est comédien de formation), réaliser  la campagne d’appels à témoignage pour la CIIVISE (Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants). et tourner quelques épisodes d’une série, Tout va bien, grand succès critique. On attendait néanmoins avec impatience et intérêt son retour au cinéma en tant que metteur en scène. C’est chose faite avec Le Successeur, libre adaptation d’un roman d’Alexandre Postel, L’Ascendant, qui confirme que Xavier Legrand est un metteur en scène sur qui il va falloir compter à l’avenir.

Heureux et accompli, Ellias devient le nouveau directeur artistique d’une célèbre maison de Haute Couture française. Quand il apprend que son père, qu’il ne voit plus depuis de nombreuses années, vient de mourir d’une crise cardiaque, Ellias se rend au Québec pour régler la succession. Le jeune créateur va découvrir qu’il a hérité de bien pire que du coeur fragile de son père.

Avec une parfaite économie de moyens, Xavier Legrand parvient à faire de cette histoire a priori banale de succession un véritable cauchemar qui pourra vous hanter longtemps, tant la culpabilité, au centre du film, finit par tout envahir.

Pour ceux qui en auraient douté, Le Successeur atteste que la réussite de Jusqu’à la garde n’avait rien d’un accident. Xavier Legrand montre une habileté diabolique à naviguer entre les genres (chronique familiale, thriller, horreur) et à jouer avec le spectateur. Il modifie tout d’abord la situation professionnelle de son personnage principal par rapport à L’Ascendant, qui passe de vendeur anonyme de téléphones mobiles à créateur de mode reconnu et célébré. Ce faisant, il prend ainsi un malin plaisir à lancer de fausses pistes, faisant croire d’abord à un film sur l’univers de la mode, puis à un film classique sur un héritage à assumer et une maladie du coeur qui s’est transmise, pour basculer soudainement dans un univers comparable à Saw, toutes proportions gardées, car Legrand ne verse pas malgré tout dans le gore. Mais il s’agit encore d’un piège pour spectateurs, Le Successeur prenant enfin une envergure de tragédie dans sa dernière demi-heure.

Nous ne révèlerons pas le pot-aux-roses car le cinéaste l’a expressément demandé. Le film s’inspire de manière lointaine de faits divers relativement récents (Daval, Kampusch) mais l’élément passionnant dans l’écheveau narratif, c’est que Xavier Legrand semble nourrir une fascination authentique pour la monstruosité. Dans Jusqu’à la garde, film écrit et réalisé bien avant #MeToo., il s’agissait de la masculinité toxique incarnée par Denis Ménochet, déclenchant des violences conjugales, Au contraire, dans Le Successeur, la monstruosité se tient hors-champ et gangrène progressivement le personnage principal. L’histoire s’est déjà passée ; ce sont ses conséquences qui affectent les protagonistes restés en vie. Le film semble d’ailleurs une véritable démonstration de la puissance du hors-champ car lorsque Elias descend à la cave de la maison de son père, il faudra attendre au moins vingt bonnes minutes pour découvrir ce qu’il a pu y voir, Xavier Legrand faisant preuve d’une grande maîtrise dans la gestion du temps.

Sur le plan scénographique, Legrand s’avère être également très habile dans le filmage d’une maison ou d’un appartement. C’était déjà le cas dans Jusqu’à la garde où il tirait le maximum de l’espace clos où se réfugiaient les personnages de Léa Drucker et de son fils pour échapper aux coups de leur agresseur. C’est encore plus le cas dans Le Successeur qui transforme une simple maison de banlieue québécoise en pavillon de l’horreur, à la manière de ce que faisait Polanski dans sa trilogie des appartements (Répulsion, Rosemary’s Baby, Le Locataire). Avec une parfaite économie de moyens, Xavier Legrand parvient à faire de cette histoire a priori banale de succession un véritable cauchemar qui pourra vous hanter longtemps, tant la culpabilité, au centre du film, finit par tout envahir. On n’accepte jamais une succession qu’à ses risques et périls. Vous n’entendrez plus jamais « Fais comme l’oiseau » de Michel Fugain et le Big Bazar de la même façon.

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RÉALISATEUR : Xavier Legrand 
NATIONALITÉ :  française 
GENRE : drame 
AVEC :  Marc-André Grondin, Yves Jacques, Anne-Elisabeth Bossé
DURÉE : 1h52 
DISTRIBUTEUR : Haut et court 
SORTIE LE 21 février 2024