Le Sommet des Dieux : à vous couper le souffle

Voici venu un film d’animation (inspiré du récit original de Baku Yumemakura repris dans le manga de Jirô Taniguchi) en 2D, pour animer tous vos sens, tout au long de ses ascensionnelles traversées de monts et merveilles en pays japonais en passant par l’Everest, hauteur oblige. Voici un film de haute voltige, et de hauts volts, pour les alpinistes et ceux et celles qui ne savent même skier! Sensations assurées, physique ou morale, avec philosophie, de ce film de souffle à vous le couper…

Népal. Pourquoi le reporter Fukamachi s’obsessionne-t-il ainsi dans une recherche du scoop ? Qui était réellement Habu Jôgi ? Pourquoi a-t-il disparu ? Où est passé l’appareil photo de George Mallory – qui attesterait de la présence des premiers alpinistes, Andrew Irvine et lui-même au sommet de l’Everest en 1924, 30 ans plus tôt que Edmund Hillary et Tensing Norgay –, et que l’on voit dans les premières images entre les mains d’un personnage fantomatique…

Dans ce film merveilleux, entre pulsions de vie et de mort, Patrick Imbert permet à ses personnages (des principaux aux secondaires, des adultes aux enfants), même de papier, de se sentir vivants, et à nous d’éprouver nos démons, qu’ils soient alpins ou urbains

Trouver la Vérité, gravir des montagnes, dans les deux cas, ne jamais désespérer, vouloir se surpasser en dépassant la nature, quitte à souffrir : voici l’histoire de deux hommes, face à la nature, et face à la nature humaine, deux acolytes solitaires dont les chemins croiser font créer la rencontre… C’est une infinité de miroir des contraires et des contrastes qui fait de ce film une brillante pépite… Alors qu’on suit Fukamachi dans son enquête à travers Tokyo ou Katmandou, dans les bars bruyants des villes remplies d’habitants, dans ses rencontres acharnées aux mystérieux dialogues avec des personnages surgissant du passé (d’Habu), on suit Habu, l’alpiniste bourru, dans ses multiples tentatives d’ascensions glacées, solitaires et dangereuses. Dans ce conte aussi humaniste que poétique, fait des visions et des souvenirs du personnage d’Habu qui se souhaite invisible (pourquoi ?) d’un côté, des projections et analyses de Fukamachi de l’autre, choix est assumé par le réalisateur de rendre le réalisme des situations : via les plans, ses plongées et contre plongée, ses décadrages ou ses panoramiques, ses focales sur des détails, l’immersion est totale à faire ressentir au spectateur, assis bien tranquille dans son siège, les commotions, brûlures du froid, claques du vent, le vertige, les avalanches, le manque d’oxygène, la sensation de vide jusqu’à la chute elle-même – que vivra le personnage taiseux d’Habu avec Buntaro, jeune garçon qui l’admire et qu’il a pris sous son aile. La bande son (créée par Amine Bouhafa) accompagne les plans vertigineux rendus par un dessin au millimètre, complétée par une voix off et et des dialogues plus feutrés. On voudrait s’accrocher, mais à quoi ? le film est aérien, et pourtant il nous tient. Même la bizarrerie du design graphique qui dessine les personnages mi européens mi asiatiques n’est pas choquante et parvient à faire se confronter des langues, des postures, des luttes, comme autant de territoires à explorer, à travers une géométrie léchée et… blanche !

Voici un film de l’obsession (du trauma, du défi) et qui montre à la fois la faiblesse et la force des hommes : l’expression « soulever des montagnes » prend ici tout son sens, pour le journaliste parti dans une en.quête rare, à le faire sortir du train train de son métier en perte de vitesse, et pour le (faux) héros Habu, pris dans une double culpabilité, celles de l’échec (on ne peut en dire plus), et de la réparation. Ainsi montera-t-il les sommets comme Sisyphe pousse son rocher : c’est dur, c’est beau, c’est éprouvant. Le cinéaste s’attache ainsi à nous faire passer du passé au présent à coups de flashbacks, présents pour nous faire mieux comprendre la personnalité d’Habu, et ses drames. Des scènes de marche, d’ascension, d’attente, de répétition (notamment avec les courriers envoyés) montrent non plus un alpiniste à la recherche de l’ultime victoire, non plus un film d’animation au sommet de son art, mais ce qui fait la force des artistes – s’attacher, s’accrocher, s’y tenir, à leur œuvre, à leur art – comme des hommes, et souvent les plus blessés. Dans ce film merveilleux, où, entre pulsions de vie et de mort, Patrick Imbert permet à ses personnages (des principaux aux secondaires, des adultes aux enfants), même de papier, de se sentir vivants, et à nous d’éprouver nos démons, qu’ils soient alpins ou urbains… Fascination, c’est un peu ça le rôle du cinéma, alors chapeau bas…

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RÉALISATEUR :  Patrick Imbert 
NATIONALITÉ : franco-luxembourgeois 
AVEC : 
GENRE : Animation 
DURÉE : 1h35  
DISTRIBUTEUR : Wild Bunch Distribution 
SORTIE LE 22 septembre 2021