Léopold Legrand est sorti grand vainqueur de la dernière édition du festival du film francophone d’Angoulême , raflant au passage quatre récompenses ( Valois du meilleur scénario, de la meilleure actrice pour Sara Giraudeau et Judith Chemla, du public ,ainsi que pour la musique composée par Louis Sclavis ). Son court métrage tourné en 2018 , Mort aux codes, fut également remarqué , et annonciateur d’un style affirmé. Le sixième enfant propose une nouvelle variation sur le thème du désir de maternité. Le sujet peut être relié à celui traité par Rebecca Zlotowski dans Les enfants des autres, sorti récemment. Tandis que la réalisatrice abordait le problème sous le prisme du mélodrame, Léopold Legrand choisit d’adopter un point de vue plus radical.
Le scénario, écrit par le cinéaste et Catherine Paillé, est tiré de l’ouvrage Pleurer des rivières de l’écrivain Alain Jaspard. Deux couples, totalement opposés socialement, se rencontrent. Franck (Damien Bonnard) et Meriem (Judith Chemla), gens du voyage, vivent dans une caravane. Devant la crainte de devoir accueillir un sixième enfant et de ne pouvoir l’élever correctement, ce couple aux moyens financiers misérables décide de procéder à un arrangement illégal avec Julien (Benjamin Lavernhe) et Anna (Sara Giraudeau).
Cette première œuvre s’éloigne des ressorts dramatiques habituels pour devenir un thriller social égratignant les procédures légales liées à l’adoption en France.
Autant dire que l’originalité du script suscite un vif intérêt, alimentée par la manière frontale dont le cinéaste s’approprie cette histoire. Bénéficiant d’une tension dense proche d’un climat dénonciateur, ce long-métrage possède une portée sociale expliquant l’un des profonds traumatismes des femmes dans la société d’aujourd’hui, celui de ne pas pouvoir procréer. L’écriture présente une analyse sociétale importante, avec ces deux binômes qui sont aux antipodes l’un de l’autre. Pourtant, les barrières socio-professionnelles sont inexistantes, laissant place à une forme d’assistance mutuelle. Force est de constater que Leopold Legrand évite le recours abusif aux clichés, à l’excès de dramaturgie, ce piège dans lequel beaucoup de metteurs en scène pourraient aisément tomber. Des propositions scénaristiques judicieuses, qui permettent à l’ensemble de l’écriture d’avoir une logique et une cohérence. Les parcours antinomiques au préalable se rejoignent dans cette recherche de maternité et la quête d’un avenir confortable pour le bébé de Franck et Meriem.
Mis à part cette prise de risques, c’est surtout le système d’adoption qui est attaqué, mettant en lumière ce chemin du combattant long, semé d’obstacles, grevé par des années d’attentes et d’étapes administratives. D’autre part, une procréation impossible, souvent source d’un mal-être profond chez les femmes. Le personnage incarné par Sara Giraudeau en est un bon exemple, entre force, résignation et détermination, quitte à prendre des décisions lourdes contraires à sa déontologie d’avocate. Cette profession n’est surement pas choisie au hasard, tout le monde pouvant être concerné par ce sujet, Léopold Legrand ayant sans doute voulu faire un contrepied à la justice.
Néanmoins, Le sixième enfant contient un message diffus. Plus qu’un questionnement sur l’adoption, c’est un film sur l’enfance. Nombreux sont les passages qui évoquent ce désir, moment touchant où une chambre d’enfant vide fait écho au désespoir, où la sensation d’un ventre arrondi se fait sentir. Un certain suspense est prégnant, mais ce stratagème hors-la-loi fomenté par ce quatuor est somme toute fortement compréhensible, même si l’issue ne fait aucun doute. En tout cas, l’écriture des personnages révèle une proximité plus qu’inattendue tant les écarts sociaux sont béants. Les sentiments de générosité ainsi que de solidarité les rapprochent et les unissent, tel un lien indéfectible. Le fil qui les relie n’est autre que celui les menant à la volonté d’être parents, c’est probablement le message secondaire que le scénario évoque.
Les interrogations sont multiples au visionnage de ce film. Doit-on tout faire pour parvenir à ses objectifs ? Quels sont les impacts psychiques de telles résolutions ? Devons-nous outrepasser la loi ? A ces questions, le film apporte des réponses précises et sans appel. Le format d’une durée de 1h30 est suffisant pour étudier tous ces sujets. Léopold Legrand compacte, condense, tout en traitant le thème dans son entière complexité, ne négligeant aucune des problématiques. Ce premier essai réussi met en avant les qualités et le potentiel d’un metteur en scène qu’il faudra suivre attentivement à l’avenir.
RÉALISATEUR : Léopold Legrand NATIONALITÉ : France AVEC : Sara Giraudeau, Benjamin Lavernhe, Judith Chemla, Damien Bonnard GENRE : Thriller DURÉE : 1h32 DISTRIBUTEUR : Pyramide distribution SORTIE LE Mercredi 28 Septembre 2022