Le Serment de Pamfir : le renouveau du cinéma d’auteur ukrainien

Présenté à la Quinzaine des Réalisateurs (désormais Quinzaine des Cinéastes) lors du Festival de Cannes 2022, le premier long-métrage de Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk, Le Serment de Pamfir dresse un portrait sans complaisance (symbolique) de la société rurale ukrainienne, coincée entre la violence et l’envie d’ailleurs.

Un homme revient chez lui après plusieurs années d’absence. Voyou repenti, il s’est juré de ne jamais tremper dans les affaires. Un évènement inattendu l’oblige, malgré lui, à reprendre du service. Il se retrouve bientôt mêlé à une mafia tentaculaire, de laquelle il ne pourra s’extirper. Ce synopsis vous paraît-il familier ? Vous vous demandez peut-être où vous l’avez déjà vu ? N’essayez pas de faire de liste car vous seriez surpris d’apprendre qu’il existe dans la quasi-totalité des films, l’histoire œdipienne du héros voulant échapper à sa propre malédiction. Si le cinéma américain raffole des rédemptions tuées dans l’œuf, à la manière de L’Impasse ou de Better Call Saul (pour les séries), ce canevas inspire également les cinématographies européennes.

Le Serment de Pamfir réactive le mythe de l’antihéros à l’américaine, en le transposant dans un univers aux antipodes du cliché originel. Pour son premier long-métrage, Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk a choisi de planter sa caméra dans la campagne ukrainienne. Alors qu’il travaille en Pologne, Leonid décide de passer quelques jours en famille. Le personnage redécouvre les siens dans une scène de retrouvailles qui, par ses emprunts à la culture théâtrale, déjoue le topos littéraire classique. Le film assume d’emblée une dimension double, que n’aurait pas reniée Janus. L’Eden retrouvé s’affirme comme le préambule d’un enfer redouté. Le paysage idyllique porte en lui les germes en puissance d’une menace en acte. La brume caressante du début, légère comme un voile de tulle, s’épaissit au fur et à mesure de l’intrigue, révélant ironiquement la menace qu’elle laissait planer jusque-là.

Soi-même comme un autre

Si la nature préfigure les évènements à venir, elle s’inscrit, plus globalement, au cœur d’un environnement métaphorique. « Chacun de nous porte en lui le ciel et l’enfer.» affirmait Oscar Wilde. Le réalisateur confère à ces paroles l’aura d’une tragédie grecque. Le retour au pays implique, pour le héros, de se confronter à une partie de lui-même qu’il aurait préféré oublier, et dont il croit être débarrassé. « Je » n’est pas un autre. Du moins, ne l’est-il plus. Leonid n’est pas moins Pamfir que Pamfir n’est plus Leonid. Au dilemme cornélien, le réalisateur préfère le chiasme rimbaldien saupoudré de références bibliques. « Je ne fais pas le bien que je veux, mais je fais le mal que je hais ». Les mots de Saint Paul résonnent curieusement avec la trajectoire du héros. S’il n’est déjà pas en odeur de sainteté, en raison de son impiété affichée, ce dernier s’affiche, néanmoins, respectueux des valeurs traditionnelles.

Leonid fait figure d’homme courageux et fort. Celui qui s’est volontairement exilé afin de subvenir aux besoins des siens –, et dans, le même temps, de fuir le paternel (à qui il a crevé un œil). Le fils ne tue plus le père, il l’aveugle en lui rendant (symboliquement) la vue. La soudaine cécité du père tuait Pamfir en faisant (re)naître Leonid. Il en sera de même pour son propre fils – ou presque. Car, comme dans toute tragédie grecque, si l’histoire est toujours connue d’avance, son dénouement échappe nécessairement aux personnages. Leonid est rappelé à la réalité lorsque son fils Nazar met le feu à l’église du village. Un prénom qui ne s’invente pas. Signifié pour le moins signifiant, le terme «nazar », issu de l’arabe « œil » ou « regard », est souvent traduit en français par l’expression (injuste) de « mauvais œil ». Or, le mot renvoie, en réalité, à une amulette de forme oculaire destinée à conjurer le mauvais sort. Le réalisateur se plaît à jouer avec les croyances et autres mythologies religieuses.

Tel père, tel fils ?

Nazar ne protège pas son père du malheur. Pire, l’adolescent précipite la chute de son père. Invoquée, la fatalité sera inexorable. Leonid reprend le costume de Pamfir. Cette fois, il n’est plus tout seul mais fait face à un ennemi dénommé Oreste. Encore un nom qui ne s’invente pas. Encore une histoire de famille maudite. Encore un personnage de mafieux aux airs de Don Vito Corleone. On vous l’avait dit. Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk aime les références et le fait savoir. Ce combat de coqs aurait pu agacer. Il énerve parfois. Mais intéresse, cependant, lorsqu’il révèle – et se moque – de l’idéologie viriliste et de la surenchère guerrière qui règnent dans la société rurale ukrainienne.

Le carnaval de la fin prend alors tout son sens. Les hommes enfilent le costume de la bête de foire. Finis la belle et la bête. Voici le conte de « l’homme est la bête ». A mille lieux du village et de son feu de joie, dans le silence d’une forêt enneigée, un père sermonne son fils. Ainsi Pamfir devient-il Socrate, intimant à son disciple Nazar de se plier au ciel de ses propres idées. Voilà donc, pour un temps, le mauvais œil tragique chassé par le fils. Après tout, le fatum n’a qu’à bien se tenir.

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RÉALISATEUR :  Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk
NATIONALITÉ : ukrainienne 
AVEC :  Oleksandr Yatsentyuk, Stanislav Potiak, Solomiya Kyrylova
GENRE : Drame 
DURÉE : 1h42 
DISTRIBUTEUR : Condor Distribution 
SORTIE LE 2 novembre 2022