Le Prestige : Ars Poetica

Après le triomphe de Batman Begins, son premier grand succès, Christopher Nolan a les mains libres. Il en profite pour mettre en scène à la fois sa première adaptation littéraire et son premier film d’époque. Dit comme cela, on pourrait craindre que Nolan soit guetté par l’académisme qui a souvent étouffé ce type de film. Bien au contraire, par ses choix de mise en scène radicaux, caméra à l’épaule, éclairage naturel, montage cut, Le Prestige ne ressemble absolument pas à un film d’époque et semble rendre compte de la période victorienne, comme si elle s’était déroulée la veille, parvenant à rendre justice à son ébullition intellectuelle. Il n’a pourtant pas remporté un grand succès au box-office. En dépit ou à cause de son côté avant-gardiste, il est resté un film méconnu, Néanmoins, pour la plupart des spécialistes de Christopher Nolan, c’est sans doute son plus beau film, jusqu’à Oppenheimer, celui où il se permet de révéler son ars poetica. « Pour moi, Le Prestige résume bien le cinéma, Cela résume bien ce que je fais. L’objectif est également de suggérer au public certaines des idées selon lesquelles le film dévoile lui-même sa narration aux spectateurs. Nous voulons que les gens soient conscients de l’effet que le film exerce sur eux à mesure qu’il progresse devant eux« .

Dans Le Prestige, Nolan se penche sur la rivalité existant entre deux magiciens, Le Grand Danton et Alfred Borden, à l’époque victorienne, à Londres. Cette rivalité jusqu’à la mort ira jusqu’à présenter des numéros de magie concurrents, se piquer des secrets ainsi que des femmes…

le cinéma, comme la magie, est avant tout affaire de sacrifice. Si l’on n’est pas près d’y sacrifier sa vie, l’art qui en résultera sera de peu d’intérêt.

Ce qui est frappant, lorsque l’on revoit le film, c’est que Nolan se permet de traiter à égalité des magiciens comme des scientifiques. Il suffit de voir quelques films de Nolan, en particulier celui-ci, pour se rendre compte que la magie et la science sont des éléments consubstantiels et indissociables du pouvoir immense du cinéma sur les spectateurs. Avec Christopher Nolan, il ne s’agit pas seulement de raconter une bonne histoire mais de se trouver au coeur de ce qui fait la magie du cinéma, un mélange de science et d’illusion. Ainsi Le Prestige n’est pas seulement une simple histoire de concurrence entre deux magiciens doués, mais une vision métaphorique du cinéma, un mixage entre artifice et naturel. D’une certaine manière, Le Prestige peut être considéré comme une transposition de l’émulation existant entre les deux frères Nolan, Christopher et Jonathan, essayant de réussir chacun le plus beau tour cinématographique.

D’un côté, la croyance en la magie comme réalisation d’une illusion en trois parties, la Promesse, montrer quelque chose d’ordinaire, le Tour, prendre quelque chose d’ordinaire et lui faire faire quelque chose d’extraordinaire, et enfin le Prestige, car « faire disparaître quelque chose ne suffit pas, il faut le ramener« . De l’autre, une duplication par la science, via l’invention de Nikola Tesla, premier personnage historique de scientifique représenté par Nolan, bien avant Oppenheimer (en vedette invitée, rien moins que David Bowie) qui va donc multiplier les êtres pour faire croire à un prodige qui n’a pourtant rien de magique mais se révèle bien réel. Le cinéma selon Nolan procède des deux, à la fois fantasmagorie où l’on cache l’essentiel et procédé scientifique qui va créer de nouvelles réalités grâce à des effets spéciaux.

Christopher Nolan n’a peut-être jamais exploré autant qu’ici sa thématique du double : réalité naturelle ou duplication scientifique. Cette thématique se trouve au coeur du principal numéro de magie, attraction ultime, que se disputent Angier et Borden, L’Homme transporté, faisant rêver le spectateur sur la possibilité d’ubiquité. Comment être à la fois ici et ailleurs? Selon les deux méthodes, l’art est aussi question de sacrifice : d’un côté, répartition équitable dans la vie privée ou de l’autre, mort par noyade concomitante à une résurrection par l’électricité. Il s’agit par un pacte faustien passé avec soi-même à sacrifier des animaux, du temps, des femmes, voire même sa propre vie.

C’est ce qu’exprime Christopher Nolan dans Le Prestige, et que l’on a assez peu décelé, déchiffré, décrypté : le cinéma, comme la magie, est avant tout affaire de sacrifice. Si l’on n’est pas près d’y sacrifier sa vie, l’art qui en résultera sera de peu d’intérêt.

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RÉALISATEUR : Christopher Nolan
NATIONALITÉ :  américaine, britannique 
GENRE : drame, fantastique 
AVEC : Hugh Jackman, Christian Bale, Scarlett Johansson, Michael Caine 
DURÉE : 2h08 
DISTRIBUTEUR : Warner Bros. Pictures France 
SORTIE LE