S’il y a bien une ligne directrice qui se dessine dans ce Festival d’Annecy 2022, c’est celle d’un cinéma français avide d’adapter la littérature sur grand écran. Des nouvelles de Murakami avec Saules aveugles, femme endormie, une bande dessinée belge avec Les Secrets de mon père, les nouvelles aventures d’Ernest et Célestine, et une adaptation animée du travail de Sempé et Goscinny avec Le Petit Nicolas – Qu’est ce qu’on attend pour être heureux ?. C’est Benjamin Massoubre, le monteur réputé de l’animation française (Tout en haut du monde, J’ai perdu mon corps, Petit Vampire…), et Amandine Fredon qui réalisent ensemble cette dernière œuvre. Déjà adapté à trois reprises dans des comédies en prises de vues réelles, puis dans une série, Le Petit Nicolas a rythmé l’enfance de plusieurs générations d’enfants. Qu’y a t-il encore à dire de ce petit bonhomme aujourd’hui ?
Amandine Fredon et Benjamin Massoubre ont trouvé LA bonne idée pour leur premier long-métrage : ils raconteront Le Petit Nicolas en racontant ses auteurs, leur rencontre, la genèse de ce projet fou, et leurs vies marquées de hauts et de bas. En mêlant la réalité et la fiction, c’est un vrai bijou qui viendra.
Le résultat est confondant de douceur et de tendresse, renfermant en lui un concentré de bonne humeur dont on ne se lassera jamais.
Avec ce film magnifique, le duo de cinéastes pose aussi un regard sur un Paris d’époque, avec ses rues pleines de pavés, son esprit de fête a tout instant et ses airs d’accordéon. Cet environnement, qui canalise une nostalgie certaine, représente un terrain de jeu idéal pour les dessinateurs aux mille idées plastiques. Reprenant le style de dessin de Sempé lui-même, le film rend hommage à son coup de crayon si léger, si unique, reconnaissable parmi mille autres, tout en se le réappropriant avec tout le respect du monde. Dès lors, c’est une des multiples belles idées du film qui s’éveille : la frontière entre l’artiste et son œuvre s’évapore peu à peu, jusqu’à que les deux entités ne fassent plus qu’une. Ainsi, Sempé et Goscinny sont dorénavant, et à jamais, croqués avec Le Petit Nicolas lui-même. Les créateurs conversent donc avec leur création qui prend vie face à eux, décorant les scènes de dialogues magnifiques.
Cette initiative, émouvante, prodigue toute sa poésie au film, lui donnant la forme d’une lettre d’amour passionnée et animée d’un profond désir de figer sur papier blanc une époque, une ville, et deux talents immortels.
Mais le film d’Amandine Fredon et Benjamin Massoubre ne tombe pas dans le piège de ne voir ces deux hommes que par leur travail, et ce qu’ils ont laissé à la postérité. Au contraire, toute l’essence du film repose sur leur envie de redonner un visage à ces noms mythiques, un contexte et ces écrits et une histoire à ces dessins. Avant d’être un nouveau film sur cet enfant espiègle et dynamique, Le Petit Nicolas – Qu’est ce qu’on attend pour être heureux ? est une œuvre sur ses deux auteurs. Car si l’on pourrait croire, au premiers abords, que les aventures du Petit Nicolas ne sont que celles d’un jeune enfant de la classe moyenne française, d’un petit garçon comme il y en a tant d’autres, Massoubre et Fredon ont à cœur de montrer que ces récits portent en eux bien plus que cela. Pour Sempé et Goscinny, ce petit garçon brun est le début d’une amitié indéfinissable. Chacun à leur manière voit en lui une façon de réparer leurs passés respectifs, voire de vivre par procuration une enfance amusée, amusante et insouciante, à laquelle ils n’ont pas eu le droit (un père violent pour Sempé, des proches déportés pour Goscinny). C’est dans une très belle scène, en plein milieu du Jardin du Luxembourg, au bord de la célèbre fontaine, que Sempé se confie à son petit personnage assis sur son épaule : « Tu as la vie que j’ai toujours rêvé d’avoir ».
Le résultat est confondant de douceur et de tendresse, renfermant en lui un concentré de bonne humeur dont on ne se lassera jamais. Abordant le traumatisme de la Shoah avec une justesse et une facilité déconcertante et le deuil avec une sincérité écrasante, le film ne se montre jamais lourd et arbore un ton des plus légers.
Il n’est pas anodin que le titre du film se finisse par un point d’interrogation, une question existentielle à laquelle il n’y a aucune réponse parfaite : Le Petit Nicolas est éternel, Sempé et Goscinny aussi, et leurs aventures existeront à jamais dans le cœur des enfants qu’ils ont éduqués.
RÉALISATEUR : Amandine Fredon, Benjamin Massoubre NATIONALITÉ : France AVEC : Alain Chabat, Laurent Lafitte GENRE : Animation, Comédie DURÉE : 1h22 DISTRIBUTEUR : Bac Films SORTIE LE 12 octobre 2022