Il fallait bien Un Certain Regard pour embrasser celui, mystérieux, d’un flamant rose. Pour son premier long-métrage, Diego Céspedes signe un conte baroque, flamboyant et doux-amer, observant sans fard une communauté de travestis dans le désert chilien. On s’y aime, on s’y arme, on s’y désarme, et on y danse à l’orée d’une épidémie qui n’a pas encore de nom.
Dans un désert cerné de silences, des travesties aux surnoms animaliers – Boa, Aigle, Lionne, Pirahna et Flamant Rose, défilent, dansent, brillent mais surtout, survivent. Autour d’elles, le désert du nord chilien, l’an 1982. Le sable et la roche dessinent un territoire quasi-mythologique : ici, au bout du monde, dans une Maison nommée Alaska, un groupe de travestis transforment le dénuement en cabaret. Chez les mineurs, une légende court : croiser le regard des habitantes d’Alaska, c’est tomber malade. Dans cette micro-société imaginaire où la réalité gangrène les fables, l’amour s’attrape comme une maladie et la rumeur s’administre comme un remède. Le film prend ce point de départ — celui du fantasme mortifère — pour tisser un conte queer à la fois flamboyant et cruel, traversé par la présence spectrale de la mort qui ne perd jamais son panache.
Au centre du récit, une fillette de onze ans, Lidia. Adoptée par Flamand Rose — jambes de mannequin nordique, gestes de sirène et voix douce — Lidia est la pièce d’une famille rêvée où l’amour se fait cuirasse. « Tu crois que la petite est toute seule ? », lance l’un des travestis à un groupe de garçons venus l’agresser. Julio, un garçon du coin, devient son complice. Ensemble, ils tentent de comprendre ce monde où les adultes tuent par amour et où les travestis affrontent les armes à feu avec pour seule réponse : « On est travestis », lâché par Boa face au canon d’un flingue, comme si le mot suffisait à conjurer la mort.
Céspedes opère ici par friction. Entre le grotesque et le sacré, le baroque et le western, la fable et la chair, le sang et le sperme. Si Le Mystérieux regard du flamant rose est un conte, il n’a pas de morale fixe. L’amour, suivie parfois de la mort, s’infiltre par les interstices, se glisse dans les regards. Le tueur, lui, à pour phrase au plafond de sa chambre : « Je me suis perdu dans ton regard mystérieux. » Comme un aveu, une damnation.
Visuellement, Céspedes soigne son monde. La lumière chaude, les tons pastel, les cadres composés comme des tableaux d’autel offrent au film un halo mystique. La musique de Florencia di Concilio, à la fois ample et discrète, sculpte l’espace intérieur des personnages. Céspedes reste à bonne distance du maniérisme : son goût de l’ornement sert toujours une ligne claire, presque documentaire voire sociologique, sur ce qu’il reste à aimer quand tout s’effondre.
Le grand mérite du film tient aussi à ce qu’il ne tombe pas dans la posture victimaire. Le Mystérieux regard du flamant rose cherche moins à attendrir qu’à regarder droit, comme ses personnages puisqu’en face, l’amour et l’empathie guettent. Comme le chantait le rockeur romantique Cupidon, on pourrait dire de ce flamant rose qu’elle a les yeux revolver.
RÉALISATEUR : Diego Cespedes NATIONALITÉ : chilien GENRE : drame AVEC : Tamara Cortes, Matías Catalán, Paula Dinamarca DURÉE : 1h44 DISTRIBUTEUR : Arizona Distribution SORTIE LE ?