Cela faisait longtemps qu’on n’avait pas vécu dans le cinéma français de révélation apaisante. Notre cinéma est en effet plutôt l’affaire de révélations fracassantes, dans le style de Julia Ducournau ou de Vincent Le Port, pour évoquer les plus récentes. Or Le Monde après nous, projeté à la Berlinale 2021 et récompensé par le Prix du public au Champs Elysées Festival de l’année dernière, fait partie des films discrets et fragiles qui distillent un charme ineffable et apportent une paix bienheureuse à ses spectateurs, ce qui s’avère de plus en plus rare de nos jours, habitués que nous sommes à des oeuvres disruptives. Truffaut, vous avez dit Truffaut? Oui, Le Monde après nous rappelle parfois le regretté François et son personnage d’excentrique mélancolique, Antoine Doinel, en l’adaptant au goût du jour et à l’ubérisation de notre époque. Ce film de Louda Ben Salah-Cazanas possède ainsi un parfum de Baisers volés et augure de jolis lendemains pour son metteur en scène.
Labidi est un jeune d’aujourd’hui : il va de petites magouilles en jobs d’appoint, habite en colocation dans une chambre de bonne et se rêve écrivain. Mais sa rencontre avec Elisa l’oblige à repenser son train de vie au-dessus de ses moyens.
Le Monde après nous de Louda Ben Salah-Cazanas possède ainsi un parfum de Baisers volés et augure de jolis lendemains pour son metteur en scène.
Antoine Doinel en 2022 est issu de l’immigration algérienne et navigue entre petits boulots, CDD et promesse d’un avenir radieux d’écrivain. Car Labidi, le personnage principal du Monde après nous, est sympathique et surtout talentueux. Son rêve est de devenir écrivain, ce qui nous donne droit à des cocasses rendez-vous avec son éditeur mercantile et opportuniste. Le monde apporte chaque jour son lot de cruauté à Labidi qui ne se départit pas pour autant de sa bonne humeur et de son esprit positif. Car Le Monde après nous a la bonne idée de sortir des sempiternels clichés sur la population immigrée, clichés parfois agressifs et atrocement répulsifs, et de nous montrer un jeune Français issu de l’immigration, qui ne sombre pas dans la grande délinquance ou le terrorisme, parvient à préserver son intégrité et surtout met tout en oeuvre pour pouvoir s’intégrer.
Entre petits boulots peu gratifiants (vendeur dans un opticien) et fantasme d’une carrière d’écrivain reconnu, Labidi balance pas mal. L’amour frappe surtout à sa porte en la personne d’une belle jeune femme bourgeoise qui a priori n’a rien véritablement à faire avec un déclassé social. Louda Ben Salah-Cazanas parvient à rendre ses personnages attachants par un sens épatant de la distribution (Noémie Schmidt en supérieure compréhensive, l’irremplaçable présence de Jacques Nolot en ombre paternelle) et une délicatesse de touche qui subliment un récit classique d’initiation. Entre l’apprentissage du deuil, la volonté de survie d’un amour et la lutte quotidienne contre la précarité, Le Monde après nous touche terriblement juste, en dressant le portrait d’une jeunesse perdue, celle de ces cinq dernières années, qui ne sait plus guère à qui se vouer, sinon à elle-même. Hormis les films de Kechiche, Le Monde après nous apporte ainsi le portrait le plus sensible fait de cette génération déboussolée, en quête de reconnaissance et en proie aux soucis financiers.
Soulignons le rôle central d’Aurélien Gabrielli, excellent, tout aussi crédible dans le comique que dans l’émotion, ainsi que la présence sensuelle de Louise Chevillotte, sans doute l’une des jeunes comédiennes françaises les plus passionnantes d’aujourd’hui, vue chez Garrel, Diwan ou Verhoeven. Leur parfaite alchimie permet de croire en cette romance d’aujourd’hui, où un transfuge de classe pourrait vivre avec une jeune bourgeoise. Reflet autofictionnel de l’expérience de son auteur d’origine française et algérienne, à parts égales, Le Monde après nous paraît à première vue, à tort assez conventionnel et finit pourtant par s’imposer contre toute attente comme un très beau film, la chanson bouleversante de William Sheller, Un homme heureux, judicieusement utilisée, donnant la clé de l’oeuvre : une quête difficile et éprouvante du bonheur.
RÉALISATEUR : Louda Ben Salah-Cazanas NATIONALITÉ : française AVEC : Aurélien Gabrielli, Louise Chevillotte, Saadia Bentaieb, Jacques Nolot, Noémie Schmidt GENRE : Drame, romance DURÉE : 1h25 DISTRIBUTEUR : Tandem SORTIE LE 20 avril 2022