Le jour du fléau : le vernis craque

L’une des facettes les plus intéressantes du cinéma américain est sa capacité, dans des chefs d’œuvre comme Sunset Boulevard de Billy Wilder, à soumettre sa propre industrie au regard de la caméra, analysant ses rouages et faisant état de l’impitoyable exploitation qui se cache sous les paillettes. Une veine du cinéma hollywoodien dans laquelle s’inscrit incontestablement Le jour du fléau, un film de la Paramount retenu par la réalisatrice Lynne Ramsay pour sa carte blanche pour la 27ème édition de l’Étrange Festival. Réalisé par John Schlesinger, lauréat en 1970 de l’Oscar du meilleur film et du meilleur réalisateur pour Macadam Cowboy, le réalisateur y fait le portrait acerbe et cynique d’une industrie du rêve où les désirs inassouvis de chacun s’accumulent, jusqu’à leur explosion dans une scène finale qui ne laissera personne indifférent.

Hollywood, années 30. Todd, jeune illustrateur, emménage dans le lotissement de San Bernardino, sur les collines de Los Angeles. Dans cette annexe miteuse de l’industrie du spectacle où s’entassent des performers ratés espérant bien connaître leur heure de gloire, le jeune homme rencontre Fay, une dumb blonde aux rôles mineurs en quête de célébrité. Bien qu’il soit fou amoureux d’elle, Fay lui résiste : elle n’acceptera de se marier qu’à un homme fantastiquement beau – ou riche…

Film exemplaire dans sa construction narrative, Le jour du fléau écorne l’apparence proprette de l’industrie du cinéma hollywoodien pour mieux mettre à jour sous le feu des projecteurs et derrière les couches de strass tout le vice d’un milieu qui se nourrit de rêves brisés et d’exploitation.

Le jour du fléau est un film savamment construit, à l’écriture particulièrement admirable qui pose étape par étape la désillusion de Todd et la corruption de Faye. On sent dans cette rigueur narrative l’influence littéraire du livre de Nathanael West, dont John Schlesinger tire son film. Satire sociale noire cachée sous le vernis des paillettes et la chaleur des lumières feutrées de Los Angeles, John Schlesinger fait le portrait de mœurs dévoyées avec la capacité d’analyse d’un Balzac et la noirceur d’un Flaubert. Remarquable metteur en scène, le réalisateur s’échine à reproduire Hollywood à la fois en lui redonnant vie devant sa caméra et en construisant esthétiquement son cadre comme un film de studio hollywoodien – mais pour mieux montrer l’impensé du film de studio. Cet impensé, ce sont toutes les ambitions déçues, tous les espoirs frustrés des starlettes et autres acteurs de seconde zone qui s’entassent en périphérie de Los Angeles, comme des papillons de nuit attirés par les phares d’Hollywood. Alors qu’ils sont perdus par leur cynisme, corrompus par d’autant plus de bassesse que les objets qui nourrissent leurs désirs frustrés sont à portée de main, Le jour du fléau brille dans l’écriture de ses personnages, exemplaires de complexité et de cynisme.

Mais il ne faut pas pour autant croire que Schlesinger se contente de faire un film de studio esthétiquement sage, à l’image proprette, où le scénario et le jeu d’acteur gouvernent l’action. Car cette esthétique classique hollywoodienne, Schlesinger la pousse jusqu’à son extrême. La déformant par toujours plus de cynisme, le réalisateur fait exploser cette image classique dans une scène de foule finale indescriptible et géniale, une émeute où toute la monstruosité d’une industrie prédatrice éclate dans un tourbillon de violence avec les proportions d’une calamité biblique. Avec cette scène brillante d’exécution, Schlesinger fait à l’apogée de son film la critique impitoyable d’une industrie qui vit de la souffrance et de l’exploitation, la satire d’un milieu qui produit savamment du rêve pour mieux cacher du cauchemar. Cette obscurité insondable qui se cache sous les projecteurs, c’est au fond le vrai sujet de Le jour du fléau – un mal à la racine qui affleure à la surface quand le feu de la jalousie balaye les paillettes et que le vernis du star-system craque.

Film exemplaire dans sa construction narrative, Le jour du fléau écorne l’apparence proprette de l’industrie du cinéma hollywoodien pour mieux mettre à jour sous le feu des projecteurs et derrière les couches de strass tout le vice d’un milieu qui se nourrit de rêves brisés et d’exploitation. Un drame remarquable, qui entre au panthéon des grands films avec sa scène finale où toute l’horreur d’Hollywood culmine et se déverse en un torrent d’horreurs incontrôlables.

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RÉALISATEUR :  John Schlesinger
NATIONALITÉ : Américaine
AVEC : Donald Sutherland, Karen Black, Burgess Meredith
GENRE : Drame, Thriller
DURÉE : 2h24
DISTRIBUTEUR : 
SORTIE LE