Parfois au cinéma, sont représentés des sports ou jeux qui ne paraissent pas au premier abord cinégéniques : le jeu d’échecs, souvent mis à contribution, mais le jeu de go, surtout connu en Asie, au niveau de la complexité et de la stratégie, n’a guère à lui envier. Bien qu’ayant déjà tourné cinq films et une série, Kazuya Shiraishi n’est pas très connu dans nos contrées, Le Joueur de go étant son premier film distribué en France. Il a choisi un point de vue original, celui des joueurs de go, tout en maîtrise, patience et attention, pour ce film de Chambara. La première partie du film présente tous les éléments dispersés du film, avant que la seconde partie ne procède à l’explosion libératrice et à la vengeance tant attendue, selon un principe éprouvé mais toujours aussi efficace, celui de la soupape qui finit par fuir de toutes parts.
Dans les années 1870, après que l’Empereur Meiji a aboli les samouraïs, Kakunoshin Yanagida, un ancien samouraï, mène une vie modeste avec sa fille à Tokyo et dédie ses journées au jeu de go avec une dignité qui force le respect. Quand son honneur est bafoué par des accusations calomnieuses, il décide d’utiliser ses talents de stratège pour mener le combat et obtenir réparation.
Magnifiquement photographié, Le Joueur de go a l’incontestable mérite de remettre au goût du jour des valeurs apparemment désuètes, faisant partie du code d’honneur des samouraïs : la loyauté, le sens de la justice, la dignité, l’humilité.
Si l’on excepte la perspective du jeu de go, l’ensemble du film reste d’un classicisme de bon aloi : un Juste est victime de l’hostilité et de la médisance, suite à une méprise, et devient hors-la-loi ; il finit par revenir là où il a été méprisé et chassé, afin de rétablir son bon droit et la vérité. Voilà qui ressemble à bon nombre d’intrigues de films de Samouraïs, voire tout simplement de westerns. S’y rajoute même la fille du héros, contrainte de se sacrifier et de travailler dans un bordel, ce qui ajoute une touche mizoguchienne assez bienvenue, dans un film largement dominé par l’esprit d’Akira Kurosawa.
Or c’est le jeu de go qui façonne toute la structure du film, les rencontres étant le reflet de la dualité ou de l’amitié opposant les joueurs, Même si on ne comprend pas les règles du jeu de go, le metteur en scène s’appuie sur un principe simple qui vaut aussi pour les parties d’échecs : l’important ne réside pas dans la disposition des pièces sur le plateau (Goban) mais dans la répercussion du jeu sur l’adversaire. C’est donc l’effet Koulechov qui prime dans ce type de films. Shiraishi met ainsi cela merveilleusement en scène, permettant de lire dans les regards et les attitudes les incidences du jeu. La guerre psychologique qui se joue est ainsi si intense qu’on finit par oublier qu’il s’agit aussi d’un film de sabres, jusqu’à ce que l’indétermination de l’issue d’une partie finisse par se résoudre de manière orgasmique et sanglante.
Même si l’on hésitera sans doute à ranger cette oeuvre très estimable au niveau de celles fondatrices de Kurosawa, magnifiquement photographié, Le Joueur de go a l’incontestable mérite de remettre au goût du jour des valeurs apparemment désuètes, faisant partie du code d’honneur des samouraïs : la loyauté, le sens de la justice, la dignité, l’humilité. Des valeurs qui manquent dans un monde sans foi ni loi, où les arrivistes se multiplient et où tout semble permis.
RÉALISATEUR : Kazuya Shiraishi NATIONALITÉ : japonaise GENRE : drame, action AVEC : Tsuyoshi Kusanagi, Kaya Kiyohara, Taishi Nakagawa DURÉE : 2h09 DISTRIBUTEUR : Art House SORTIE LE 26 mars 2025