Le Garçon : cherchez le garçon, trouvez son nom

De Récré A2 aux côtés de Dorothée au César du meilleur premier film pour Se Souvenir des belles choses (2002), Zabou Breitman a déjà accompli un incroyable parcours artistique. Depuis, son film d’animation, Les Hirondelles de Kaboul, coréalisé avec Éléa Gobbé-Mévellec, a été sélectionné dans la section Un Certain Regard au Festival de Cannes 2019. Avec Le Garçon, Grand Prix documentaire, elle poursuit ce mode de mise en scène partagée avec Florent Vassault, réalisateur et monteur, d’une génération différente. Partant d’une idée assez originale (quoique peut-être issue du livre de la romancière Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe, procès prévu le 3 juin), Le Garçon permet à Zabou Breitman et Florent Vassault de s’interroger sur le temps qui passe, les notions de célébrité et d’anonymat, et le destin qui se dissout comme un cachet d’aspirine dans un verre d’eau.

À partir d’une enveloppe, contenant des photographies de famille, trouvée dans une brocante, deux personnes vont chercher à retracer l’histoire d’un garçon présent sur plusieurs de ces images. Ils décident d’en faire un film.

Le Garçon, non content d’être déjà une parabole méta sur la manière dont le documentaire finit par circonvenir la fiction, devient alors une méditation sur l’anonymat qui attend la plupart des destins, et sur ce qui peut rester du passage modeste d’une vie sur Terre.

Le point de départ du Garçon est effectivement très intrigant puisqu’à partir de simples photos trouvées dans une brocante, les deux coréalisateurs vont inventer et fantasmer des histoires, se lancer dans une enquête, et le tournage de deux films parallèles, une fiction et un documentaire. La fiction dévolue à Zabou Breitman consiste à créer presque de toutes pièces l’histoire réinventée de cette famille ; le documentaire et l’enquête, pris en charge par Florent Vasseur, vont au contraire partir à la recherche de ce garçon disparu ou du moins non identifié, et tenter de reconstituer la vérité de son parcours.

Si on y réfléchit, la démarche n’est pas aussi originale qu’il n’y paraît, puisque ces dernières années, certains films avaient déjà commencé à pratiquer ce mélange impur entre fiction et documentaire, comme Les Filles d’Olfa ou Little Girl blue. Néanmoins c’est peut-être la première fois que fiction et documentaire entrent aussi ouvertement en concurrence pour relater l’histoire d’un personnage sorti des oubliettes d’une brocante. Hormis dans la première demi-heure, c’est le documentaire qui l’emporte largement dans ce duel fratricide. Même si Zabou Breitman et ses acteurs François Berléand, Isabelle Nanty, Damien Sobieraff, etc,, n’ont strictement rien à se reprocher, leurs reconstitutions des personnages photographiés étant parfaites, le spectateur pressent que la vérité l’emporte ici sur la fiction.

En effet, l’enquête se révèle bien plus passionnante que l’échafaudage narratif qui vient souvent à la remorque de la partie documentaire, de manière redondante. Zabou Breitman s’amuse d’ailleurs à placer une partie fictionnelle avant la partie documentaire qui reprendra exactement les mêmes propos sur la célébrité indue des dictateurs, propos en fait originels, à la manière de Une Sale histoire de Jean Eustache. Dans l’enquête documentaire, on hésite sur l’attribution d’un prénom : le « héros » de l’histoire s’appelle-t-il Jean, Jacques ou Michel? Est-il le bébé blond ou le grand frère? Se pourrait-il que ce vieillard, gardien d’immeuble, soit le même que le poupin blond qui gambade? Tout devient probabilité, possibilité et en définitive fiction, y compris cette dame âgée qui sort à plusieurs reprises de son appartement lorsque la minuterie s’allume et s’éteint plusieurs fois, apparition étrangement lynchienne.

Pourquoi ces photos ont-elles été abandonnées, jetées au rebut, dans une brocante anonyme? La solution tient peut-être en un mot qui n’est prononcé que lors de la dernière demi-heure du film, alors que le reste des intervenants ne s’étaient guère étendus sur la question : l’homosexualité du garçon en question. Dès lors la fiction et le documentaire vont diverger, Zabou Breitman préférant offrir une vie ouverte et heureuse à son personnage alors que celui du documentaire n’échappera pas à une issue solitaire et banalement tragique. Le Garçon, non content d’être déjà une parabole méta sur la manière dont le documentaire finit par circonvenir la fiction, devient alors une méditation sur l’anonymat qui attend la plupart des destins, et sur ce qui peut rester du passage modeste d’une vie sur Terre.

3.5

RÉALISATRICE ET REALISATEUR : Zabou Breitman et Florent Vassault 
NATIONALITÉ :  française 
GENRE : comédie dramatique, documentaire 
AVEC : Damien Soberiaff, Nicolas Avinée, François Berléand, Isabelle Nanty
DURÉE : 1h37 
DISTRIBUTEUR : Moonlight Films Distribution 
SORTIE LE 26 mars 2025