Le Disque rouge : une oeuvre néo-réaliste à découvrir.

En lice pour la Palme d’Or du Festival de Cannes 1956, le film de Pietro Germi, présenté dans la section Cannes Classics de l’édition 2023, est à voir ou revoir, pour les amoureux d’un cinéma italien de qualité, s’inscrivant purement dans la veine néo-réaliste. À une époque où ce mouvement cinématographique transalpin était en plein essor, avec des cinéastes prestigieux tels que Federico Fellini ou Roberto Rossellini, Le Disque rouge, mésestimé et sans doute un peu oublié, mérite cependant une remise en lumière, l’œuvre présentant tous les éléments représentatifs du néo-réalisme, d’un décor urbain populaire au regard attendrissant et naïf d’un petit garçon contemplant toute une classe de la société italienne.

Un conducteur de locomotive, subissant ennuis professionnels et familiaux, sombre dans le désespoir. Son entourage proche le soutient.

Le Festival de Cannes 2023 eut donc l’idée de projeter ce film, dans une copie restaurée, et continue ainsi à œuvrer pour la redécouverte de longs-métrages ayant eu l’honneur d’une présentation. Chose faite avec Le Disque rouge, film néo-réaliste, se situant néanmoins dans l’ombre des plus grands chefs-d’œuvre du genre, mais qui comporte toutefois nombre de qualités le hissant certainement à un niveau de cinéma élevé.

En exposant l’histoire de ce cheminot, travaillant durement dans ce travail d’une extrême pénibilité, Pietro Germi plante sa caméra dans un décor des bas-fonds italiens, celui des strates sociales les plus modestes, dans un milieu où le maigre salaire permet de subsister. Les endroits se succèdent, des trains à un logement populaire en passant par les bars ou ces employés du rail se retrouvent autour d’un verre, autant de lieux symbolisant le quotidien d’une population moins favorisée. Pietro Germi s’approprie tous ces cadres urbains, loin du confort bourgeois, dans une ville italienne dont il explore les moindres recoins. De ces débits de boissons aux plans montrant l’évolution de l’urbanisation, le cinéaste s’approprie le décor de cette ville, répondant alors parfaitement à l’un des codes néo-réalistes, celui d’intégrer ses personnages dans un schéma citadin en constante mutation. Le cinéaste s’amuse à faire vivre ses protagonistes dans un environnement contrasté, dominé par l’opposition entre la bourgeoisie et la pauvreté. Comme Cabiria dans Les Nuits de Cabiria, Andréa Marcocci nous est introduit, dans son milieu familial modeste, travaillant pour un salaire tout juste suffisant, se posant en digne représentant d’une classe peinant à subsister financièrement, dans une Italie encore en pleine reconstruction. Comme la plupart des œuvres du néo-réalisme, Le Disque rouge se lance dans une critique radicale de cette société divisée, peignant un tableau peu idyllique d’un pays traversé par des épreuves économiques, optant pour la défense des plus fragiles, décrivant des microcosmes agités vivant modestement ou chichement, tout cela sous une forme de chronique sociale réaliste. Ces évocations montrent progressivement la dislocation familiale, engendrée par la déchéance personnelle et professionnelle de ce père, considéré comme un traître, « un jaune », car ne soutenant pas ses collègues dans leurs causes syndicalistes, faisant de ce personnage principal un homme tenace, s’opposant à toutes formes de revendications. Germi ne livre ainsi pas de messages politiques, mais filme tout de même la désastreuse situation d’un système ferroviaire italien grevé par les problèmes, ne s’éloignant pas d’un des principaux aspects de ce type d’œuvre, celui de témoigner de l’intense pression financière existant dans les années 1950.

Dans le film de Pietro Germi, la famille reste un socle fondamental de la survie, un apaisement essentiel dans un vaste tourbillon d’inquiétude. Dans le regard d’un petit garçon apparait sans doute une lueur d’espoir.

Le Disque rouge met également en scène cet enfant souriant, contemplant le monde qui l’entoure avec naïveté, se posant en témoin de tous ces bouleversements familiaux plus ou moins dramatiques. Cet écolier se change en narrateur, utilisant sa voix pour expliquer les événements, et apporter son regard sur cet univers adulte se situant loin de son insouciance. Ainsi, cette narration permet d’analyser correctement toute l’essence de ce récit, les yeux d’un fils fixant attentivement son entourage familial se désagrégeant, regardant avec amertume le désespoir envahissant son paternel, rendu à un état d’ivresse. La présence de l’enfant adoucit considérablement la teneur émotionnelle. Nous sommes plus face à une histoire narrant une relation bienveillante que devant un film jouant sur une importante dramatisation, Pietro Germi apportant une dimension humaine dans la description d’un contexte trouble. C’est surtout la solidité familiale qui est montrée ici, ainsi que l’attachement viscéral d’un fils pour son père, d’un petit enfant triste de vivre la santé défaillante de cet Andréa, impuissant d’affronter la dégradation physique de cet adulte aimant et attentionné. Plus qu’une œuvre néoréaliste, Le Disque rouge, de par sa structure, évoque davantage l’importance du cocon familial que le contexte social, de ces séquences d’ouverture filmant ce jeune garçon heureux de retrouver son père sortant du travail, à cette fin chargée en émotion, dans une œuvre traversée par un sentiment de bienveillance et d’affection, où la famille joue une fonction vitale dans les équilibres personnels. En adoptant le point de vue de Sandro Marcocci, le cinéaste italien produit un film exceptionnel, avec une légèreté l’emportant sur la dramatisation, une forte impression parcourant ce film dosant impeccablement émotions positives et négatives, où la tendresse et l’amour priment sur les inquiétudes du quotidien. Pietro Germi filme une relation d’assistance, par le biais de ces yeux d’enfant naïf, mais bien réaliste.

 

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RÉALISATEUR : Pietro Germi
NATIONALITÉ :  Italie
GENRE : Drame
AVEC : Pietro Germi, Sylva Koscina
DURÉE : 1h41