Le Cours de la vie : Vincent, Noémie, Raymond, Louison et les autres…

Aussi simple qu’étrange, multiple que limpide, ce titre a de quoi faire parler ! D’abord parce qu’il évoque quelque chose d’aussi universel que singulier – cf. la définition d’un personnage selon, Noémie l’héroïne scénariste –, à savoir qu’il peut toucher tout le monde tout en ne parlant que de l’une ensuite parce que le terme initial renverra au « cours », cette masterclass donnée par une scénariste, dans la fiction comme dans la vie, encore parce en l’état du récit, il implique qu’un cours de cinéma correspondrait à une leçon de vie – cf. la vision thérapeutique de l’écriture scénaristique évoquée aussi –, enfin parce que tout simplement, il semble refléter deux moments très précis : celui des retrouvailles entre Noémie et Vincent, et celui, peut-être du cinéaste, Frédéric Sojcher, qui emprunte également à sa propre fonction, lui-même étant directeur de Master « scénario, réalisation, production » (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne). C’est ainsi que le film s’écoulera entre deux rives, entre documentaire parfois dans sa manière de rendre un état de l’apprentissage de l’art et fiction, en abordant une histoire au long cours, les héros ne s’étant pas revus depuis trente ans…

Un film entre deux rives, un cours au long cours, venu rappeler qu’une simple lettre jamais lue peut traverser les temps…

Noémie et Vincent se retrouvent enfin, après un dernier échange postal pour les séparer lorsqu’ils étaient étudiants en cinéma et amoureux : la lettre, objet symbolique – il est aussi question dans le film de la force des objets – sera restée fermée depuis, envoyée dans une poubelle de ville à l’issue du récit, pour finalement être ouverte et lue par un étudiant. Un écrit, personnel, mais jamais ouvert par son destinataire, comme un scénario, vu comme une infime partie du film dans tout son environnement, pouvoir des mots et des maux. Parce qu’entre Noémie et Vincent, ce n’est pas qu’une histoire de pardon qui doit se formuler mais aussi une histoire de désir, celui à procurer aux élèves qui apprennent sur les bancs de l’ENSAV (école nationale supérieure d’audiovisuel toulousaine) à imaginer, penser, écrire le cinéma. Ce sont ainsi quelques histoires amoureuses, ponctuées par des problématiques personnelles – le genre, l’identité sexuelle, l’écologie, l’amour, la tromperie, la Covid des événements de la vie tout simplement… –, qui viennent croiser le cheminement du discours que tient Noémie auprès des étudiants : ainsi, la parole est un enjeu du film, celle que l’on partage, que l’on entend, que l’on refuse, que l’on tait aussi ; ainsi s’expriment, dans une diversité de tons propre aux types de personnages – le guitariste colérique, l’intellectuel, la non binaire… – les étudiants, pris dans leur propre construction – souvent sentimentale –, et qui démontrent aussi combien leurs préoccupations se retrouvent dans leur scénario de film – telle est aussi la leçon de Noémie, qu’on ne fait pas sans une part personnelle, même transcendée par le genre. Alors, depuis, Noémie a quitté son second amour italien, a eu un fils immense, aime une femme quand Vincent, auprès de qui travaille sa belle-sœur, a quitté son épouse – à qui il n’a pas pardonné une passade de tromperie – et ses deux enfants, vit dans un appart ’hôtel, et semble ne pas avoir encore digéré la première séparation…

Force de l’écrit, puissance de l’oral, le film implore la nostalgie et la mélancolie de reprendre le cours de leurs vies…

Le Cours de la vie, qui est adapté d’un essai d’Alain Layrac – intitulé Atelier d’écriture, 50 conseils pour réussir son scénario sans rater sa vie, éditions Hémisphères, 2017) –, qui utilise la musique d’un ancien, Vladimir Cosma – lequel au passage assurera prochainement un concert au Grand Rex ! –, qui rappelle de par la leçon ou en hors-champ d’image – alors qu’on en entend leurs musiques et que les plans fonctionnent en miroir de l’émotion qu’elles inspirent – des films ou des cinéastes dits classiques dont Noémie montre des extraits – de Kazan, Ford, Pasolini à Schrader, Sautet, Almodóvar… –, remémore aussi le point de démence de L’Abécédaire de Deleuze – penseur du cinéma mais dont est citée une phrase sur l’attraction entre deux personnes –, quand il n’est pas question de la poésie ou d’humour nécessaires, à la vie comme à l’image – et cf. enfin les deux références à Rilke et à son jeune poète ou à Musset et son Lorenzaccio : Frédéric Sojcher applique, à la manière d’une mise en abyme, la leçon donnée sur le cinéma, en démontrant, à travers son film, comment fiction et réel sont liés, comme légende et vérité, observation et imagination mais confiance et liberté, gravité et légèreté. Car ainsi vont les cours des vies, pris entre amour et séparation, (fous) rires et larmes, pertes, deuils ou retrouvailles, qui peuvent se vivre en dix heures ou en dix ans, et se digérer dans de plus ou moins longs accouchements. Noémie raconte l’idée jaillie pour un scénario – ses termes clés, les « Et si… » qu’elle fera illustrer par les étudiants – autour de deux femmes enceintes prêtes à exposer leur accouchement : Le Cours de la vie au fond n’est-il pas l’histoire d’un accouchement ? et avec la douleur qui va avec, l’histoire de pardon ? jusqu’à ce qu’un jour, on puisse en rire ? Le film va du côté de l’émotion du spectateur, à travers celles des personnages auxquels il peut s’identifier ou du registre cocasse venu s’immiscer de façon inattendue : c’est d’abord par le jeu d’acteur et d’actrice d’Agnès Jaoui (un joli retour) et de Jonathan Zaccaï (exceptionnel) que le film se tend et devient sensible et pudique, avec l’intermédiaire de Géraldine Nakache, la bels’(oeur) comme elle dit, au rôle de confidente, lorsqu’eux-mêmes ponctuent leur dialogue d’humour. Ainsi la sonnerie du téléphone de Vincent qui reprend le thème célèbre du Grand blond à la chaussure noire (Yves Robert, 1972 et Vladimir Cosma !), le fou rire de Noémie à la question « Pourquoi t’es partie » de Vincent, la séance d’analyse du film d’animation conçu à partir d’un globule rouge et d’un globule blanc, la répartie de Louison « C’est pas toi le pangolin » dans les toilettes, ou la blague du restaurateur « Chez Raymond c’est bon de la tête à la queue comme le cochon » avant que Vincent ne renverse la table en tirant la nappe plutôt que sa serviette pour stopper son saignement de nez… C’est qu’en plus Frédéric Sojcher – sont-ce ses origines belges ? – assume en faisant dire à la scénariste « On est tous le ringard de quelqu’un ! ».

En appeler aux anciens confirme qu’une universalité se maintient quand c’est à chacun de créer sa singularité !

Dans ce film, qui fait le tableau de stéréotypes estudiantins, qui multiplie aussi les choix de plans – pris entre modernité et des plongées, des circulaires d’un côté dans les scènes d’extérieur, terrasse du restaurant ou cour de l’école de cinéma, des split-screen et jeux de double caméra pour filmer l’intervention lors de la masterclass – et par là insiste sur la richesse des procédés techniques au cinéma, c’est à une réflexion méta(cinématographique ou philosophique) à laquelle les étudiants et les spectateurs sont invités à réfléchir : dans le huis-clos de l’amphithéâtre – qui en appelle aux codes du théâtre avec son unité de temps, lieu et action –, une tragédie est en train de se jouer, convoquant ce qui fait l’existence de l’être humain et interrogeant la vie comme étant le cinéma et inversement. Si tout ceci est très (trop ?) riche dans une durée d’une heure trente, parfois didactique – fonction oblique – sans jamais pourtant être prétentieux, Le Cours de la vie reste un joli éloge des fonctions du cinéma, entre thérapie et catharsis, et démontre une forme d’’humilité de la part de Frédéric Sochjer vis-à-vis des Choses de la vie (!). Pour en revenir au titre et à son second terme, évidemment que l’on pense à Claude Sautet comme à Jean-Luc Godard, car sa vie, comme son film, il faut les fabriquer, et que c’est à travers Vincent, Noémie, Louison et les autres qu’invitation est faite à y travailler… pour preuve, Noémie qui parviendra à évoquer la mort de son jeune frère Fabien, en public, quand Vincent pourra lui pardonner, et peut-être retrouver sa voix auprès de sa Céline. Nous, on aime les histoires, on aime les images, et on ne fuira pas les salles de peur que le cinéma se sauve…

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RÉALISATEUR :  Frédéric Sojcher
NATIONALITÉ : Belgique
GENRE : Comédie romantique
AVEC : Agnès Jaoui, Jonathan Zaccaï, Géraldine Nakache, Stéphane Hénon, Guillaume Douat, Célie Verger, Philippe Chatard, Lise Lomi, Romain Debouchaud, Léa Binsztok, Sarah Cheyenne-Santoni, Natasjia Sojcher, Zacharie Bordier, Dina Alves
DURÉE : 1h30
DISTRIBUTEUR : Jour2Fête
SORTIE LE 10 mai 2023