Le Consentement : qui ne dit mot ne consent point

Le 2 janvier 2020, quelques mois après le confinement, le monde intello-médiatique a été particulièrement remué par la parution du Consentement, ouvrage de Vanessa Springora, narrant sa relation sentimentalo-sexuelle avec l’écrivain Gabriel Matzneff, dans la seconde moitié des années 80. Le récit de Vanessa Springora, qui avait treize-quatorze ans au moment des faits, décrit avec force détails la relation d’emprise psychologique que Matzneff a su mettre en place, en raison de son prestige d’écrivain et de sa position dominante en tant qu’adulte. Le livre a connu un succès impressionnant de librairie, engendrant une polémique sur la pédophilie, la pédocriminalité et la liberté des moeurs dans les années 80-90. Par la suite, il a même inspiré une loi décidant de fixer le seuil de consentement sexuel à l’âge de 15 ans. Quelques années plus tard, succès du livre oblige, Le Consentement réapparaît en version cinématographique à laquelle a participé Vanessa Springora elle-même pour le scénario. Qu’apporte cette nouvelle version au livre et à la connaissance de la gravité du sujet de l’emprise?

Paris, 1985. Vanessa a treize ans lorsqu’elle rencontre Gabriel Matzneff, écrivain quinquagénaire de renom. La jeune adolescente devient l’amante et la muse de cet homme célébré par le monde culturel et politique. Se perdant dans la relation, elle subit de plus en plus violemment l’emprise destructrice que ce prédateur exerce sur elle.

Le Consentement apparaît surtout nécessaire, d’un point de vue civique, mais malheureusement pas suffisant, sur le plan esthétique.

Signalons le principal aspect positif, Le Consentement ne rend pas le spectateur voyeur d’une situation déplaisante et évite l’écueil malencontreux d’une éventuelle et douteuse pornographie. Le fait que Vanessa Springora soit au scénario, et Vanessa Filho à la réalisation, soit deux femmes chargées de la recréation du livre en version filmée, n’y est sans doute pas étranger. Pour autant, la mise en scène du film ne dépasse pas une dimension purement illustrative qui échoue à investir le film du drame que Vanessa Springora a certainement vécu. Pour ne pas évacuer le problème, disons d’emblée que le film souffre d’un certain « miscasting » qui déplace immédiatement les enjeux et fausse un peu la donne. La distribution des deux rôles principaux laisse un peu dubitatif, en dépit du talent incontestable des interprètes. Kim Higelin, fille de Ken Higelin et petite-fille du regretté grand Jacques, ne démérite pas en jouant un maximum sur sa timidité et son immaturité apparentes mais ne peut cacher qu’elle est malheureusement un peu trop âgée pour le rôle (22 ans pour un personnage qui fête ses 13 ans au début du livre), un peu comme Dominique Swain pour Lolita d’Adrian Lyne. Il eût été sans doute dangereux et risqué, voire même impossible, de confier le rôle à une actrice aussi jeune que le personnage. Mais le choix de Jean-Paul Rouve rendu chauve masque encore davantage le fait que Matzneff disposait à cette époque d’une certaine aura de séduction qui rendait le phénomène d’emprise presque imperceptible ou du moins quasiment tolérable aux yeux de la société des années 80. Rouve, en dépit de tout son talent, manque assez nettement de séduction intrinsèque pour incarner le personnage dans toutes ses facettes, y compris et surtout celle de Casanova libertin. Il est vraiment dommage que Jean-Paul Rouve, le crane rasé, ressemble en fait bien davantage à Michel Blanc qu’à Gabriel Matzneff, et encore plus à un vampire d’opérette qu’à Nosferatu.

L’adaptation, Vanessa Springora oblige, se révèle être extrêmement fidèle sur le plan psychologique mais le déplacement des représentations fausse légèrement les enjeux. Tel quel, le film accentue sans le moindre effet de surprise la dimension perverse du personnage de Matzneff, sans faire réellement comprendre pourquoi la jeune Vanessa a été séduite. On peut regretter également que l’adaptation omet étrangement (par crainte de représailles juridiques des ayants droit?) certains épisodes a priori anecdotiques mais révélateurs comme en particulier la protection apportée à Gabriel Matzneff par le grand écrivain franco-roumain Emil Cioran, un épisode saisissant dans le récit et dégoulinant de misogynie assumée de la part du philosophe et essayiste qui, pour résumer, intime à la jeune Vanessa de se sacrifier car servir d’amante à Matzneff représenterait un privilège et une entrée indirecte dans le monde éternel de la littérature.

Le Consentement de Vanessa Filho montre ainsi assez bien à quel point le comportement de Matzneff était toléré voire encouragé dans la sphère des Belles-Lettres. On y revoit comme exemple retentissant de l’omerta qui a eu lieu à l’époque, l’émission Apostrophes de Bernard Pivot où, devant un auditoire d’écrivains goguenards (y compris l’animateur de l’émission), Matzneff parade comme un paon, se vantant de ses aventures avec des pucelles inexpérimentées. Seule l’écrivaine Denise Bombardier ose s’exprimer en critiquant ouvertement l’auteur : les faits lui ont donné a posteriori raison. Malheureusement cet extrait d’émission TV dénonce bien plus encore Matzneff que tout le dispositif cinématographique du film. Le Consentement réussit surtout à montrer deux phénomènes avec exactitude : la description de la rivalité entre Vanessa et sa mère (Laetitia Casta) qui permet de comprendre que, si Vanessa est tombée sous la coupe de Matzneff, c’est aussi pour s’affranchir de sa mère et de la jalousie qu’elle pouvait éprouver devant sa beauté qui lui demeurait inaccessible et d’une certaine manière, la dépasser ; enfin, le passage du temps, assez frappant de brutalité soudaine, lorsqu’on retrouve trente ans plus tard Vanessa Springora (Elodie Bouchez) en butte à des mails de harcèlement de Matzneff. Hormis ces deux situations, Le Consentement apparaît nécessaire mais malheureusement pas suffisant.

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RÉALISATEUR : Vanessa Filho 
NATIONALITÉ :  française 
GENRE : drame, biopic 
AVEC : Kim Higelin, Jean-Paul Rouve, Laetitia Casta 
DURÉE : 1h58 
DISTRIBUTEUR : Pan Distribution 
SORTIE LE 11 octobre 2023