Le nouveau film de Christian Petzold, Le Ciel rouge, récompensé d’un Grand Prix du Jury (Ours d’argent) au dernier Festival de Berlin, confirme de la plus belle des manières l’importance et l’intelligence du cinéaste allemand, après Phoenix et Ondine, deux sommets déjà de sa filmographie.
Une petite maison de vacances au bord de la mer Baltique. Les journées sont chaudes et il n’a pas plu depuis des semaines. Quatre jeunes gens se réunissent, des amis anciens et nouveaux. Les forêts desséchées qui les entourent commencent à s’enflammer, tout comme leurs émotions. Le bonheur, la luxure et l’amour, mais aussi les jalousies, les rancœurs et les tensions. Pendant ce temps, les forêts brûlent. Et très vite, les flammes sont là.
La première séquence du film étonne et semble exister pour égarer le spectateur : deux copains, Léon et Félix, sont sur la route à bord d’une voiture, en partance pour une maison isolée pour une retraite qui s’annonce à la fois reposante et studieuse (l’un prépare un portfolio pour intégrer une école d’art ; l’autre écrit un second roman). Mais la panne survient. Voilà nos compères qui s’enfoncent dans la forêt pour aller chercher de l’aide. Le silence et les quelques bruits évoquent immédiatement le cinéma d’horreur et l’on s’attend à voir surgir une menace invisible. Une fausse piste certes, mais qui, en fait, n’en est pas tout à fait une : des bombardiers d’eau survolent la zone, d’importants feux de forêt font rage et pourraient menacer la quiétude des lieux.
De l’horreur imaginaire, le long métrage glisse vers une comédie estivale rohmérienne, prenant la forme d’une chronique sentimentale mettant en scène la jeunesse
De l’horreur imaginaire, le long métrage glisse vers une comédie estivale rohmérienne, prenant la forme d’une chronique sentimentale mettant en scène la jeunesse notamment avec l’irruption de deux autres personnages, Nadia (sublime et magnétique Paula Beer) et son copain David, nageur-sauveteur. S’ensuit la rencontre de ces quatre protagonistes, avec des échanges verbaux qui font tomber les masques. Ainsi, l’une des plus belles scènes de la première partie de Ciel rouge est un repas extérieur, au soleil. Si la parole circule, il en va de même pour le désir également (entre fille et garçons ou entre garçons). Léon apparait comme un personnage égoïste, pour qui le monde ne semble tourner qu’autour de sa propre personne et de son œuvre. Il se montre méprisant vis-à-vis de certains des autres convives, notamment David, voire condescendant avec Nadia lorsqu’après avoir lu sa version du roman, celle-ci se permet d’émettre une critique. A sa grande surprise, Nadia lui apprend qu’elle n’est vendeuse de glaces que l’été ; elle prépare un doctorat en littérature. Pourtant, ce personnage masculin est très intéressant, apparaissant certes comme un être détestable et narcissique, insensible à ce qui se passe autour de lui, peu enclin à céder au désir qu’il ressent pour la jeune femme mais dans le même temps d’une tristesse insondable et assez mystérieuse. Il est l’un des visages de la jeunesse, tout comme Nadia en constitue un autre, bien différent. La force du film réside donc dans la complexité de cette relation qui se noue progressivement entre les deux.
De manière subtile, dans sa dernière partie, le long métrage abandonne littéralement la comédie sentimentale non dénuée de cruauté et de cynisme pour plonger dans une véritable tragédie romantique et sombre
De manière subtile, dans sa dernière partie, le long métrage abandonne littéralement la comédie sentimentale non dénuée de cruauté et de cynisme pour plonger dans une véritable tragédie romantique et sombre (dans laquelle Eros et Thanatos sont associés), lorsque le feu va finir par tout consumer, au sens propre comme au sens figuré. La progression du feu est d’ailleurs intimement liée aux émotions ressenties par les personnages : leur force augmente au fur et à mesure que le brasier se rapproche de la maison. Le spectateur comprend alors que le dénouement sera bouleversant (avec comme point d’orgue une très belle relecture cinématographique des corps calcinés de Pompéi) et cruel.
Par ce Ciel rouge, Petzold réussit un film estival intimiste et poétique (une habitude chez le cinéaste allemand), d’une belle profondeur, superbement mis en scène et remarquablement interprété (mention spéciale à l’acteur principal, Thomas Schubert, dans un rôle ingrat mais passionnant). Assurément, l’une des plus belles expériences en salle cette année.
RÉALISATEUR : Christian Petzold NATIONALITÉ : Allemagne GENRE : Comédie dramatique AVEC : Thomas Schubert, Paula Beer, Langston Uibel DURÉE : 1h42 DISTRIBUTEUR : Les Films du Losange SORTIE LE 6 septembre 2023