Depuis une bonne quinzaine d’années, l’œuvre de Clint Eastwood s’est de plus en plus focalisée sur la thématique de l’héroïsme. Qu’est-ce qu’un héros? Un homme ordinaire qui réagit de manière exceptionnelle en étant placé dans des circonstances extraordinaires. Cette thématique connaît diverses variantes : les soldats de Mémoires de nos pères, dépassés par leur renommée, la dignité du sacrifice d’un général japonais dans Lettres d’Iwo Jima, Walt Kowalski se dévouant pour ses amis asiatiques dans Gran Torino, Nelson Mandela dans Invictus, Chris Kyle, l’American Sniper controversé, Sully, le pilote sauvant tous les passagers de son vol de l’US Airways, les trois amis d’enfance du 15h17 pour Paris, etc. Avec Le Cas Richard Jewell, Clint Eastwood reprend essentiellement la trame de Sully, c’est-à-dire comment un exploit inattendu peut transformer quelqu’un en héros avant que les médias et l’administration, les cibles favorites de notre cher Clint, ne le vouent aux gémonies quelques jours plus tard.
Le Cas Richard Jewell fait d’ores et déjà partie des bons films de Clint Eastwood, ce qui représente beaucoup, car il est empreint d’un humanisme et d’une tendresse rares par les temps rageux qui courent.
En 1996, lors des Jeux Olympiques d’Atlanta, Richard Jewell, agent de sécurité, trouve un sac contenant une bombe et, en donnant l’alerte, sauve un nombre considérable de vies. Cet homme corpulent à l’intelligence limitée, ayant tendance à se prendre pour un justicier et à appliquer de manière trop sévère la loi, vit chez sa mère et ne présente d’évidence pas un bon profil pour la police et les médias qui en font d’emblée le suspect idéal pour cet attentat terroriste.
On avait laissé Clint Eastwood l’année dernière sur un retour triomphal grâce à La Mule qui le voyait renouer avec un grand rôle dramatique, sorte de jumeau inversé de Gran Torino. Tournant plus vite que son ombre, Eastwood revient déjà un an plus tard avec Le Cas Richard Jewell qui lui a fait connaître l’un de ses plus grands échecs au box-office américain. Cet échec est manifestement injuste, tant ce film, contrairement à ses quelques rares échecs artistiques (Au-delà, Le 15h17 pour Paris), montre des trésors de sensibilité, rejoignant en cela par le symétrisme de l’intrigue et la tendresse du ton, Sully. Eastwood aurait pu ménager un suspense de mauvais aloi, faisant planer le doute sur la culpabilité de Richard Jewell pour l’attentat du Centennial Park. Or, très vite, il s’avère que cette piste ne l’intéresse pas, car il n’hésite pas à montrer par le parallélisme des actions, qu’il était impossible que Jewell planifie cet attentat. Ce qui intéresse Eastwood, c’est avant tout de restaurer la dignité d’un homme. Richard Jewell ne présente pas le profil d’un héros idéal. Limité intellectuellement, obsédé de manière quasiment enfantine par la loi et la police, ce marginal aurait pu mal tourner, comme le prévient gentiment Watson Bryant, celui qui va devenir son avocat : « un peu de pouvoir peut changer quelqu’un en monstre. Faites que cela ne vous arrive pas« . Ce profil tendancieux explique que le FBI et les médias, en absence de suspect, se soient intéressés à lui. Dans bien des cas, la Roche Tarpéienne se trouve extrêmement proche du Capitole, ce qu’illustre bien Le Cas Richard Jewell.
Ce qui intéresse réellement Eastwood, c’est de montrer à quel point l’opinion publique est versatile, faisant flèche de tout bois, retournant sa veste en la moindre circonstance, manipulée par de fausses informations qu’elle prend pour argent comptant, et comment cette opinion va détruire la vie d’un homme et de sa famille, sa mère en l’occurrence. Pendant 88 jours, Richard Jewell et sa mère vont ainsi subir un calvaire médiatique, administratif et policier. Jewell ne se révolte pourtant pas, croyant avec la bonne foi du charbonnier dans le jugement impartial du FBI qu’il vénère, jusqu’à ce qu’il craque, poussé à bout par le harcèlement permanent de ceux qui ont trouvé une bonne proie docile.
On ne saurait trop louer la performance discrète et sensible de Paul Walter Hauser, déjà remarqué dans Moi, Tonya, qui donne une densité époustouflante et quasiment comique à ce bon gros nounours de Richard Jewell. Le duo inattendu et en apparence mal assorti avec Sam Rockwell (remarquable en Watson Bryant, avocat intelligent et rusé) leste d’une incroyable pertinence une relation d’amitié improbable entre deux êtres aussi dissemblables. Ils auraient tout autant mérité d’être nommés aux Oscars 2020 que Kathy Bates, stupéfiante en mère protectrice, qui a hérité d’une mention pour le meilleur second rôle féminin, unique nomination du film. Jon Hamm, en agent du FBI consciencieux et tourmenté par sa tâche, et Olivia Wilde, en journaliste peu scrupuleuse, complètent harmonieusement une distribution de très haut niveau. Au sujet du rôle d’Olivia Wilde, une polémique accusant le film de sexisme a stigmatisé le fait qu’il puisse suggérer que la journaliste ait pu coucher pour soutirer des informations à l’agent du FBI. Cette scène, à l’évidence très maladroite, paraît contraire à la vérité historique et porte préjudice à la mémoire de la journaliste en question, malheureusement décédée, mais ne suffit pas à ternir la portée globale du film.
On a souvent loué le classicisme tranquille de Clint Eastwood. Il fait encore ici des merveilles, mais ce qui surprend le plus, c’est que ce futur nonagénaire n’hésite toujours pas à se risquer à filmer des moments totalement expérimentaux (en particulier, tout le travail sur le son, incluant la découverte de la bombe ou les conséquences sur le psychisme de Richard Jewell). Ne nous leurrons pas, Le Cas Richard Jewell ne fait pas partie des plus grands Clint Eastwood en raison d’un sentimentalisme un peu envahissant sur la fin, mais on peut le ranger d’ores et déjà parmi ses bons films, ce qui représente beaucoup, car il est empreint d’un humanisme et d’une tendresse rares par les temps rageux qui courent. Avec le temps, Eastwood se rapproche de tous ses personnages et les défend tous, sans exception, y compris les plus antipathiques, ce qui n’était pas le cas par exemple pour la famille de Maggie dans Million Dollar Baby. Il est même assez troublant de voir Eastwood accorder le rôle principal de son film à un personnage qui, pour une fois, se trouve physiquement aux antipodes de sa silhouette légendaire, alors que dans Invictus, Sully ou Lettres d’Iwo Jima, le protagoniste gardait une apparence conventionnelle de héros. A travers ce film, Eastwood met en valeur les héros de la vie ordinaire, des gens ni particulièrement beaux ni foncièrement intelligents ni a priori admirables et leur redonne une vraie dignité, exempte de tout mépris, leur tendant la main, en leur disant, « vous aussi, vous pouvez faire des choses extraordinaires, il suffit que vous en ayez l’opportunité« .
RÉALISATEUR : Clint Eastwood NATIONALITÉ : américaine AVEC : Paul Walter Hauser, Sam Rockwell, Olivia Wilde, Jon Hamm, Kathy Bates GENRE : Drame DURÉE : 2h10 DISTRIBUTEUR : Warner Bros SORTIE LE 19 février 2020