L’Autre Laurens : Je est un autre…

 

Claude Schmitz nous a habitués au décalage, et dans son dernier long-métrage, on ne sera pas déçu. Sélectionné à la Quinzaine des cinéastes du Festival de Cannes 2023, son film vient explorer le thème du dédoublement, par l’autre, ou avec soi-même.

Un polar décalé, aux couleurs lunaires, aux scènes solaires, et aux dialogues déjantés.

Gabriel Laurens – vive Olivier Rabourdin – est détective privé, spécialisé dans les adultères, à Bruxelles. Ne faisant que peu de cas de lui avec sa dégaine de loser bedonnant mal coiffé, il a à gérer sa mère, à la mort imminente, dont le financement de l’Ehpad n’a finalement pas été assumé par son frère, jumeau, François, qui habite dans le Sud de la France, proche de la frontière espagnole, entrepreneur et mafieux richissime, qui lui laissera des dettes. Sauf que François meurt, que sa fille Jade – interprétée par Louise Leroy, une sorte de Brigitte Bardot contemporaine – déboule en pleine nuit, chez lui, son oncle, en crocs et short : elle a quelque doute sur les causes de la mort de son père, et se retrouve seule, avec sa marâtre américaine et les motards qui sont censés l’encadrer partout où elle se rend… Le film s’ouvre sur une magnifique image, qui détonne par rapport au récit tout au long mais viendra trouver sa cohérence dans ce polar pris entre enquête et série B : un paysage désertique sur fond de filtre bleu, avec son cactus, le néon d’une boîte de nuit, non on n’est pas au Mexique mais à la frontière espagnole, une femme – américaine –, deux hommes – espagnols –, dans une ambiance tendue, et, surtout une hallucination : un soi-disant homme mort a été repéré, songe, erreur ou illusion, la question des fantômes sera omniprésente tout au long… Avant d’arriver dans l’appartement bruxellois où Gabriel finira par se laisser convaincre par sa nièce qu’elle a besoin d’aide – et d’amour –, traversant la France pour arriver jusqu’au domaine classieux où elle vit « La Maison blanche ». Évidemment, ici, ce ne seront que des emmerdes, puisque qu’il aura un problème de carte bleue, l’obligeant à dépendre de Jade et de son argent à volonté, sera obligé de vivre encadré par une bande de motards décalés, amie de la famille qui se trouve sous sa protection – avec des personnages pas piqués des vers entre leur accoutrement, leur vision du monde et leur accent –, et un duo de policiers – sorte de Laurel et Hardy, avec un Rodolphe Burger pour l’un d’entre eux et Françis Soetens ou de Dupont et Dupond version basque ! – débarquant dans les lieux car le défunt a eu affaire avec la mafia espagnole, dont la veuve compte bien utiliser les ficelles à ses propres fins financières, avec l’aide de son frère, ex US marine américain, noir, et pas plus honnête que les autres malgré le récit de ses héroïsmes…

Détournement des genres, dédoublement des personnages, un film qui ne tient qu’à un fil tissé de ses fils en mal d’exister.

Le récit du film a l’air emberlificoté, avec ses digressions – et tous ses voyages en voiture sur les lieux du crime, les aires d’autoroute, de sa maison au funérarium – et il l’est avec toutes ces figures, des types masculins détournés de leur aura, indéfendables mais pourtant attendrissants. Tel semble le parti-pris de Claude Schmitz qui nous fait assister à son défilé de gueules – la femme fatale ni la lolita ne valent mieux mais elles tentent de sortir leur épingle du jeu… Ainsi le récit s’étale et tourne en rond – à prendre qui pour bourrique du personnage ou du spectateur – au service d’une intrigue pourtant bien ficelée, de dialogues aussi incisifs qu’ils sont drôles avec des répliques prises entre l’absurde et la nostalgie des films à discours, et des plans au cordeau dans une mise en scène plutôt stylisée. Ainsi on assiste au tableau d’une enquête qui a l’air sans queue ni tête – c’est le cas de le dire pour les types masculins ! – mais qui aboutira pourtant. Le film est long, s’étale, mais reste solide par son propre paradoxe : ses images plutôt magnétiques de par la beauté des cadres et la direction d’acteurs, très précise, viennent se confronter à une absurdité, une mélancolie et une vanité des personnages. Tour à tour solaire avec ses paysages frontaliers, lunaire avec ses scènes violentes – par le discours ou les actes des personnages –, L’Autre Laurens est un film qui parle de déconstruction à travers les thèmes de la mort, de la perte et du deuil, tout en accordant une place à l’idée de famille – aussi décomposée soit-elle – et à ce qu’on en fait – cf. les groupes préformés ou les duos qui se créent tout au long –, comme à l’idée de clan voire de genre. En cours d’implosion, la gent masculine en prend pour son image devant une Lolita bien plus courageuse, et assoiffée de vie comme de vérité. Si le film se perd par sa multiplicité – y compris avec l’usage de l’espagnol, du français et de l’anglais –, il nous livre le micro-tableau d’une société dont il faut repenser l’unité.

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RÉALISATEUR : Claude Schmitz
NATIONALITÉ : Belgique
GENRE : Polar décalé
AVEC : Olivier Rabourdin, Louise Leroy, Marc Barbé, Kate Moran, Edwin Gaffney, Rodolphe Burger, Françis Soetens, Timo Vandenborre
DURÉE : 1h55
DISTRIBUTEUR : Arizona Distribution
SORTIE LE 4 octobre 2023