LaRoy : pain, amour et violence

Sorti en catimini au milieu du mois d’avril, mois réputé creux car précédant le Festival de Cannes, LaRoy est un peu passé inaperçu, parmi des dizaines de sorties, alors qu’il s’agit d’une excellente comédie noire, où tueurs, argent, infidélité font bon ménage. Coen, vous avez dit Coen? En effet, le film de Shane Atkinson peut y faire beaucoup penser, tant les répliques cinglantes , les situations loufoques qui s’enchaînent , le burlesque qui n’exclut pas une certaine profondeur font référence au tandem de frangins. Il est difficile de ne pas penser à Fargo ou No country for old men, en voyant le tandem comique Magaro-Zahn, rencontre improbable entre Droopy et Lucky Luke, ou le maillet utilisé par Dylan Baker pour faire peur à ses victimes. Les frères Coen ne devraient pas rester séparés très longtemps car la relève s’annonce brillante. Shane Atkinson a su mettre d’accord à Deauville le jury, le public et la critique, en remportant à la fois le Grand Prix, le Prix du Public et le Prix de la critique, ce qui s’avère extrêmement rare.

Quand Ray découvre que sa femme le trompe, il décide de mettre fin à ses jours. Il se gare sur le parking d’un motel. Mais au moment de passer à l’acte, un inconnu fait irruption dans sa voiture, pensant avoir affaire au tueur qu’il a engagé.

Si le film s’avère extrêmement sanglant (à Sang pour Sang, comme diraient les Coen), et férocement drôle, il n’oublie pas d’être assez profond, les protagonistes s’interrogeant sur l’image qu’ils dégagent et la comédie de l’existence qu’ils sont censés tous jouer.

Lorsque le film commence, une voiture roule de nuit sur une route anonyme des Etats-Unis. Elle s’arrête pour prendre un auto-stoppeur. Ce dernier plaisante en disant que l’automobiliste a peut-être peur car il pourrait être un tueur en série. L’automobiliste lui renvoie la blague, en racontant qu’il a peut-être trafiqué les roues de la voiture de l’auto-stoppeur pour qu’il tombe en panne. Il suffit de deux répliques pour que la situation s’inverse et que la peur change de camp, le spectateur étant témoin de ce renversement drolatique. Cela montre tout le talent de Shane Atkinson pour poser une situation et en inverser les données en un tour de main. Rapidité scénaristique, habileté de la mise en scène, jubilation dans la direction d’acteurs.

On retrouve dans LaRoy, nom d’une bourgade du Texas qui sera le théâtre de cette histoire improbable, ce constant va-et-vient entre situations de meurtre et de comédie, cette incertitude sur les intentions des personnages qui rend le film imprévisible et jouissif. Le film est servi par des acteurs absolument tous parfaits dans leur rôle mais peuvent apparaître comme des seconds couteaux, ce qui peut expliquer le peu de retentissement du film en France : John Magaro, connu depuis son rôle dans First Cow de Kelly Reichardt, Steve Zahn (formidable ici dans le rôle de Skip, le détective à la dégaine de Lucky Luke) et Dylan Baker (Happiness de Todd Solondz), déjà glaçant et hilarant dans le rôle de Colin Sweeney, le tueur de femmes de The Good Wife.

Shane Atkinson prend prétexte d’un échange accidentel de tueurs sur un parking pour tresser une toile aux multiples ramifications sur l’infidélité, la masculinité, la quête hustonienne de l’argent. John Magaro y incarne une mauviette qui va prendre conscience des humiliations qu’il a subies, afin d’y réagir enfin. Pourtant, le film est un peu plus subtil que l’établissement d’un programme de transformation d’un homme ordinaire en tueur redoutable. Plus même que les Coen, on sent dans LaRoy l’inspiration d’une série comme Breaking Bad qui montrait déjà la métamorphose d’un modeste professeur de chimie en caïd de la drogue. Dans LaRoy, Ray (le personnage de Magaro) ne se transforme pas en salaud intégral mais s’interroge sur les raisons de sa vie et se demande surtout pourquoi Stacy-Lynn l’a épousé, lui, un homme sans qualités. La réponse donnée dans le dernier tiers du film le laissera sans voix.

Si le film s’avère extrêmement sanglant (à Sang pour Sang, comme diraient les Coen), et férocement drôle, il n’oublie donc pas d’être assez profond, les protagonistes s’interrogeant sur l’image qu’ils dégagent et la comédie de l’existence qu’ils sont censés tous jouer, l’essentiel étant la force de l’amitié qui unit certains. C’est cette touche existentialiste qui pourrait amener loin Shane Atkinson, s’il parvient à se dégager progressivement des excellentes influences tutélaires qu’il a élues.

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RÉALISATEUR : Shane Atkinson 
NATIONALITÉ :  américaine 
GENRE : comédie noire, comédie, policier, thriller 
AVEC : John Magaro, Steve Zahn, Dylan Baker 
DURÉE : 1h52 
DISTRIBUTEUR : ARP Sélection 
SORTIE LE 17 avril 2024