Récompensée par la Caméra d’Or en 2014 à Cannes pour son film Party Girl, Claire Burger présentait son dernier long-métrage au Festival de Berlin, avec encore une fois la part belle faite aux personnages féminins. Le film nous raconte l’histoire de Fanny, lycéenne strasbourgeoise, en séjour linguistique chez Léna, sa correspondante de Leipzig. Accueillie chaleureusement par la mère de cette dernière, elle est reçue froidement par celle-ci qui lui explique qu’elle ne vient pas au bon moment et qu’elle ferait tout aussi bien de retourner chez elle. On se rend compte au fur et à mesure que le récit se déroule que Susanne – c’est le nom de la mère – a du mal à dormir, boit beaucoup et qu’une rupture récente avec son ex-mari l’affecte encore. En témoigne la scène où elle reproche violemment à celui-ci de danser avec Fanny afin de la séduire. S’ajoute à cela que Lena est la fille d’un homme, ancien compagnon de sa mère, qui a refusé de la reconnaître à la naissance. Le grand-père vient compléter cette galerie, surnommé Le Monstre, nostalgique de l’Allemagne de l’Est, proche de l’AFD, parti néo-nazi. La montée du fascisme en Europe constitue d’ailleurs la toile de fond du film au cours duquel certaines allusions y sont faites: l’exposé fait par Fanny sur le sujet en visioconférence à une classe française et le salut nazi adressé par provocation par une élève à Léna. On regrette que le film n’exploite pas plus à fond cette piste. Nous voyons que Léna évolue dans un milieu familial, sinon dysfonctionnel, au sein duquel les affaires n’ont pas toutes été réglées ni les problèmes liquidés. Difficile de trouver son équilibre personnel pour la jeune fille à un âge où on est soi-même en plein doute sur son propre avenir.
Autant Fanny ne s’intéresse pas à la politique, autant Lena y voit un sujet privilégié, elle qui se voit bien travailler plus tard dans l’humanitaire. Face à elle, Fanny apparaît comme perdue. Harcelée par ses camarades d’école, suicidaire, mythomane, fragile émotionnellement, elle se confie de plus en plus à Léna en laquelle elle voit d’abord une sœur d’amitié. L’apprivoisement réciproque des deux jeunes filles se fait progressivement; les corps se frôlent à coups de caresse, s’emmêlent tendrement et passent par le jeu avant de se révéler leur amour. C’est l’histoire de deux jeunes filles angoissées par l’avenir qui se cherchent elles-mêmes à travers l’amour au sein d’une société ébranlée sur ses fondements. Elles ont en commun le fait de vivre au sein d’un entourage familial déstabilisant dans un monde d’adultes en faillite. La mère de Fanny la surprotège, la pistant jusque dans un café, tandis que son père est soupçonné d’entretenir une relation extra-conjugale avec une autre femme. Une dispute intervient entre Fanny et son père à table sur la ligne de conduite à adopter face à la crise générale qui gangrène la société occidentale. Fanny évoque sa fascination pour le mode d’action violente des black blocs en réponse à l’Etat et au capitalisme régnant qui exploitent l’individu. Encore une fois, le sujet de la politique est effleuré par le film qui ne va malheureusement pas sur ce sujet-là jusqu’au bout de ses intentions.
C’est l’histoire de deux jeunes filles angoissées par l’avenir qui se cherchent elles-mêmes à travers l’amour au sein d’une société ébranlée sur ses fondements.
C’est que les deux jeunes filles appartiennent toutes deux à la classe petite-bourgeoise de la société et ne sont pas personnellement confrontées à la violence de l’Etat ou du capitalisme dont elles profitent, quoi qu’elles en pensent. Pour pallier à ce manque d’engagement politique – même si l’on devine que les deux adolescentes rejoindront certainement le camp des ennemis du fascisme et/ou du capitalisme à plus ou moins long terme – le scénario érige en figure fantasmée de la rébellion la figure de Justine, sœur putative de Fanny que son père aurait eue avec une autre femme que sa mère alors qu’elle n’était peut-être pas encore née. Aperçue sur une vidéo de manifestation violente sur internet, Fanny croît la reconnaître., en fait une affiche que les deux jeunes amies distribuent dans la rue et auprès des commerçants de Strasbourg pour la retrouver. Justine apparait comme un idéal de révolte contre toutes les injustices commises par un système qui les condamne à n’être que des pantins.
En fait, cet idéal s’épuise et se confond avec l’histoire d’amour qui relie les deux jeunes filles et les braises de la révolte sociale dont elles auraient pu allumer le feu, dévorant tout sur son passage s’éteint de lui-même. Et l’on assiste à un film plutôt sage malgré les ambitions qu’il affiche – on aurait imaginé quelque chose de plus punchy – diluant son message politique dans les eaux d’une romance adolescente plutôt bien vue et maîtrisée du point de vue du scénario et de la réalisation. Une demi-déception au final.
RÉALISATEUR : Claire Burger NATIONALITÉ : France, Allemagne, Belgique GENRE : Drame AVEC : Lilith Grasmug, Josefa Heinsius, Nina Hoss, Chiara Mastroianni DURÉE : 1h41 DISTRIBUTEUR : Ad Vitam SORTIE LE 11 septembre 2024