L’Amour au présent : Love Story

Sur le papier, L’Amour au présent de John Crowley ressemble à s’y méprendre à une banale bluette sentimentale, comme on en a déjà vu mille et comme on en verra mille autres. A l’arrivée, il s’agit bien d’une bluette ; néanmoins il est nécessaire de nuancer cette affirmation apparemment sans équivoque. Réunissant deux des acteurs-phares de la nouvelle génération, Florence Pugh et Andrew Garfield, ce film semble vouloir établir une nouvelle référence de la comédie romantique. John Crowley n’y parvient pas tout à fait en raison du rapport inégalitaire entre le jeu de ses deux acteurs et de leurs personnages et un brouillage chronologique qui frise l’artifice. Pourtant, même si L’Amour au présent n’échappe pas en définitive aux stéréotypes et clichés du mélodrame romantique (la rencontre, l’accomplissement professionnel, la maladie), ce film est réellement sauvé par une performance incroyablement inspirée et sincère de Florence Pugh qui prouve qu’elle est actuellement l’une des plus brillantes actrices qui peuvent se trouver.

Almut et Tobias voient leur vie à jamais bouleversée lorsqu’une rencontre accidentelle les réunit. Sous forme de flashbacks, nous pouvons découvrir leur rencontre, la naissance de leur fille ainsi que la découverte du cancer d’Almut et son combat contre ce dernier, en tant que cheffe cuisinière.

Sans pour autant atteindre au chef-d’oeuvre, L’Amour au présent nous confronte au cas d’un film presque ordinaire transcendé par une interprétation vibrante.

John Crowley ne s’est jamais signalé par sa capacité à renverser les poncifs. Boy A montrait ainsi la difficile réinsertion d’un enfant meurtrier qui a grandi ; Brooklyn, une jeune femme hésitant entre deux pays, deux amours, deux vies. L’Amour au présent reprend peu ou prou les principales étapes du mélodrame romantique, -la rencontre, la carrière professionnelle, la maladie-, que l’on retrouve dans le grand classique du genre, Love Story, sans surprise ni originalité, le cancer remplaçant la leucémie. Néanmoins il faut reconnaître que Crowley officie avec davantage de nuances, sans plonger dans le grand bain lacrymal habituel, même si le spectateur finit par s’y noyer avec délectation.

En fait, pour corser un peu sa narration en y ajoutant un brin de déconstruction, Crowley a choisi de brouiller la chronologie des trois principaux événements de son histoire (la rencontre, l’accouchement, le concours professionnel). Cela apparaît comme un procédé assez artificiel qui permet malgré tout de chasser l’ennui dû à l’entassement des conventions. Depuis quelques années, persiste l’impression assez nette que Alain Resnais, grande influence du cinéma contemporain, s’est penché sur les divers scénarios des films anglo-saxons, en pratiquant la déconstruction temporelle : parfois avec justesse et sens (Oppenheimer, Oh, Canada, la série LOST), souvent de manière plus superficielle et aléatoire (Challengers, L’Amour au présent). Pourtant le film aurait certainement été bien plus fade et empilé les clichés, si l’on avait conservé une chronologie classique. En faisant du coq-à-l’âne temporel, le but du film, et son message latent, sont de montrer que l’amour doit être ressenti au présent pour en savourer la véritable valeur.

Mais cette coquetterie narrative ne représente qu’un modeste additif stylistique qui ne vaudrait rien, si le duo d’acteurs n’était pas à la hauteur de l’enjeu dramatique. Or, si on peut être sempiternellement agacé par le jeu répétitif d’Andrew Garfield, avec ses yeux de chien battu, qui ne paraît pas avoir évolué depuis quinze ans (donc Boy A), on ne peut aussi qu’être ébloui par celui, intense et naturel, de Florence Pugh qui, à elle seule, permet d’élever un film plus qu’oubliable. C’était déjà le cas de Saoirse Ronan dans Brooklyn. Adèle Exarchopoulos peut être parfois exceptionnelle dans des films déjà bons ; contrairement à Adèle, Florence Pugh peut sauver des films qui s’enlisent dans les clichés. Certes, une profonde inégalité régit les rapports entre les personnages, puisque le personnage masculin ne fait que réagir à tout ce qui arrive au féminin (la maladie, une mémorable séquence d’accouchement dans les toilettes d’une cafétaria, une épreuve de concours des Bocuse d’or), mais cela ne change pour ainsi dire rien à la domination artistique sans partage de Florence Pugh qui confirme qu’elle peut transcender autant les petits rôles (Oppenheimer, Dune 2) que les grandes partitions (Midsommar, L’Amour au présent).

Par conséquent, sans pour autant atteindre au chef-d’oeuvre, L’Amour au présent nous confronte au cas d’un film presque ordinaire transcendé par une interprétation vibrante. Cela peut suffire à celles et ceux qui voudraient promouvoir une politique des acteurs, voire des actrices, bien davantage que celle des auteurs-metteurs en scène.

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RÉALISATEUR : John Crowley 
NATIONALITÉ :  britannique 
GENRE : comédie dramatique, drame, romance
AVEC : Florence Pugh, Andrew Garfield 
DURÉE : 1h48
DISTRIBUTEUR : StudioCanal 
SORTIE LE 1er janvier 2025