Lamb : mère envers et contre tout

Dans le secret des montagnes, une énigme existentielle apparaît aux yeux d’un couple endeuillé. Un nouveau-né comme un caprice de la nature, une fantaisie comme un signe du destin pour Maria, une mère qui souffre en silence de la perte de son enfant. Qui est le père de cet être mi-humain, mi-bête ? Peu importe, la nature donne, l’homme prend : l’instinct maternel, presque animal, évacue la morale. Loin de tous et de tout, une singulière cellule familiale se constitue. Pour son premier long-métrage, Lamb, présenté à L’Etrange Festival, après Un Certain Regard à Cannes, le réalisateur islandais Valdimar Jóhannsson nous immerge dans un conte âpre et déroutant.

Maria et Ingvar vivent ensemble dans une ferme isolée en Islande. Le quotidien est dicté par les saisons et l’élevage des moutons. Malgré la routine, l’union fait la force : le respect prime dans ce couple où les tâches sont partagées sans aucune contrainte. Dans l’intimité, un silence éloquent laisse deviner la présence de pages sombres dans l’histoire du couple. De trois, ils sont passés à deux. Un drame que la vie, dans son caractère imprévisible, met à l’épreuve : un beau jour, un nouveau-né apparaît dans l’étable. Un être insaisissable, ni totalement homme, ni absolument animal. Un point d’interrogation, autant dans sa nature que son origine. Le couple décide de garder l’enfant. A quel prix ?

Une œuvre audacieuse, minimaliste, qui décale la réalité d’un cran pour nous laisser observer les brèches de nos certitudes humaines.

Paradoxalement, dans Lamb la normalité d’un couple revient grâce à une invraisemblance. Le nouveau-né est une énigme autant qu’une réponse pour Maria. En faisant le choix de conserver cet enfant, elle rejette une autre mère au profit de son instinct maternel, impérieux. Peu loquace, le récit s’exprime dans les comportements, les réactions, les regards. En plongeant dans les yeux de ses interprètes, le cinéaste fait le choix de l’autonomie : à chacun de lire et comprendre les sentiments qui circulent. Une manière d’amener le récit à un niveau plus primitif, plus animal. Comment faire mentir le regard d’un animal ? Lorsque la caméra s’attarde sur le regard interloqué et craintif d’un mouton, on perçoit avec acuité son émotion. Ce regard frontal, sans concessions, offre au film ses meilleures scènes.

Outre l’histoire d’une rivalité entre deux mères, l’une humaine, l’autre animale, le film convoque également l’éternel triangle amoureux pour souligner l’état émotionnel du couple : le frère d’Ingvar, fêtard et créatif, débarque un jour à l’improviste. Il questionne autant les sentiments de Maria que la nature de l’enfant. Et si Maria avait préféré Pétur à Ingvar ? Sa vie aurait certainement été différente, elle ne serait probablement pas dans cette ferme isolée, mère par procuration d’une créature tirée d’un conte. Moins convaincante, cette seconde intrigue peine à pleinement s’inscrire dans le récit. Quelque part, ce triangle arrive en renfort d’un concept qui peine à exister sur la longueur, faute de matière. Heureusement, sa conclusion, féroce et inexorable, apporte une lumière crue sur le fond du film : celle de la dette envers la nature. Pour vaincre le chagrin, le couple a pris le bonheur d’un autre, sans s’interroger sur les conséquences. Le film prend alors une nouvelle hauteur, l’homme n’est plus cet être dominant à qui il ne doit rendre de compte à personne, mais une entité comme les autres. Sonné, notre égo est remis à sa place.

Singulier et original, le premier long-métrage de Valdimar Jóhannsson n’est pas forcément là on l’attend : ce n’est ni un film d’horreur, ni véritablement un film fantastique. C’est un drame soigné, lent et méticuleux, au concept fort, mais au contenu avare au regard de sa durée. Une œuvre audacieuse, minimaliste, qui décale la réalité d’un cran pour nous laisser observer les brèches de nos certitudes humaines.

3.5

RÉALISATEUR :  Valdimar Jóhannsson
NATIONALITÉ : Islandais, Polonais, Suédois, 
AVEC : Noomi Rapace, Hilmir Snær Guðnason
GENRE : Drame fantastique
DURÉE : 1h46
DISTRIBUTEUR : The Jokers
SORTIE LE 29 décembre 2021