Laissez-moi : le spectre de la solitude

Présenté dans la sélection ACID du Festival de Cannes 2023, Laissez-moi, de Maxime Rappaz, vaut uniquement pour la prestation tout en romantisme de Jeanne Balibar, récompensée par un César de la meilleure actrice pour Barbara de Mathieu Amalric. L’interprète, vue également chez Arnaud Desplechin, apporte ce qu’il faut de sensualité dans une œuvre bien lancinante, au style vieux et démodé, dans laquelle une femme se prostitue pour subvenir à ses besoins. Le premier long-métrage du réalisateur se perd dans des décisions scénaristiques, utilisant un canevas classique, et se trouve desservi par une mise en scène apportant un romantisme exacerbé ainsi qu’une lenteur souvent soporifique. Pourtant, sous le thème du sexe, se cache celui de la solitude d’une femme étranglée par un quotidien d’une monotonie palpable.

Claudine consacre sa vie à son travail, à l’éducation de son fils souffrant d’un handicap. Le mardi, elle propose des services sexuels à des clients d’un hôtel.

Claudine, couturière et prostituée le mardi dans un hôtel montagnard, voit son agenda rythmé par la confection des vêtements, puis les passes dans cet établissement hôtelier rempli d’hommes de passage. Le film s’ouvre par un plan de cette femme, de dos, regardant le paysage qui défile, à bord d’un train la menant dans ce lieu où elle se prostitue, donne du bon temps à ses clients, avec la complicité du serveur.

La scène se répète, de manière redondante, avec une musique soporifique, ces quelques notes de piano qui nous entraînent volontairement vers un romantisme assumé. Maxime Rappaz se charge vite de créer une atmosphère qu’il voulait classe, élégante, à l’image de cette Claudine toujours apprêtée pour satisfaire les hommes, dans une robe blanche conçue sur mesure. Si le climat est classieux au possible, Laissez-moi manque singulièrement de vigueur pour un film racontant ces actes sexuels et cette précarité obligeant la couturière chevronnée à vendre son corps. Absolument tout, y compris les rencontres autour d’une table, semble d’un autre temps, avec un aspect vieillot perdurant toute la durée. Effectivement, le film propose un résultat vieilli, convenant probablement plus aux anciennes générations, un produit pour un public adulte, mature, désireux de voir les pérégrinations sexuelles de cette femme, voulant apprécier ces jeux charnels et de séduction ne parlant que très peu à des spectateurs plus jeunes. Pourtant, la mise en scène est soignée, propre, trop même, assez académique, chaque plan voulant montrer les émotions de Claudine, prenant manifestement un plaisir à faire l’amour, auprès de ces hommes étrangers lui permettant de s’évader géographiquement, mais également de ses semaines marquées par son travail, et surtout par la gestion de son fils handicapé, excellemment interprété par Pierre-Antoine Dubey. Non moins intéressant, ce personnage sert de prétexte pour expliquer pourquoi cette prostitution devient nécessaire, autant financièrement que personnellement. Toutefois, en optant pour la description de ce handicap dont doit s’occuper Claudine, l’œuvre s’enfonce dans le vu et revu, ce choix étant souvent utilisé dans les films aux caractères sociaux, tout cela pour donner un maximum d’empathie et de crédibilité. Cela marche, mais Laissez-moi n’approfondit pas cette relation, se focalisant surtout sur cette recherche de désir et d’affection.

Sous le problème de la prostitution se trouve une problématique encore plus délicate, ce fantôme de la solitude guettant au quotidien Claudine, dont les seules préoccupations sont de travailler et de fournir un confort matériel à son fils.

Si le cinéaste choisit de ne pas verser dans une dramaturgie à outrance, les simples regards expressifs de Jeanne Balibar trahissent ce sentiment de désespoir, cette impression d’une vie sans relief, pleine de vide, où, finalement, les seuls moments de proximité humaine se déroulent le mardi, dans cet hôtel dans lequel elle tente délibérément de combler ses lacunes affectives, avec ses rencontres sexuelles cachant la volonté d’aller plus loin dans les relations. L’acteur allemand Thomas Sarbacher donne la réplique à l’actrice française, mais ce duo, pourtant complémentaire, accouche d’échanges relativement mous et sans âme, d’une vaine tentative d’insuffler un beau dynamisme romantique. L’ensemble pâtit de l’absence d’un réel impact dramatique, aussi de la puissance d’une romance, restant dans une ambiance à l’eau de rose. Avec une durée d’une heure et demie, Laissez-moi réussit à éluder, négliger certains éléments, avec ce passé relativement flou, obscur, autour de ce personnage principal et les raisons, sans doute encore plus profondes, de ses blessures sentimentales… Des omissions préjudiciables tant au récit en général qu’à la psychologie de cette Claudine aux contours invisibles, dont on ne sait rien finalement. Avec son scénario lacunaire et ce traitement superficiel de cette prostitution, Laissez-moi laisse un goût d’inachevé, malgré la matière existante, mais Maxime Rappaz se trompe cependant de style, et peinera à toucher un large public.

1.5

RÉALISATEUR :   Maxime Rappaz
NATIONALITÉ : France-Suisse-Belgique
GENRE :  Romance
AVEC : Jeanne Balibar, Pierre-Antoine Dubey, Thomas Sarbacher
DURÉE : 1 h 32
DISTRIBUTEUR : Eurozoom
SORTIE LE 20 mars 2024