Déjà en 2010 avec Même la pluie (Tambien la lluvia), Icíar Bollaín racontait le combat presque désespéré d’un groupe d’individus contre un oppresseur tout-puissant. La réalisatrice espagnole réitère avec L’Affaire Nevenka (Soy Nevanka), qui retrace l’oppression puis le combat de Nevanka Fernández, figure de proue de la lutte pour le droit des femmes et l’un des premiers noms du mouvement MeToo. Le long métrage pourrait presque être qualifié de film d’époque tant il dépeint une période (le début des années 2000) où l’omerta était encore totale par rapport aux violences sexistes et sexuelles. En un peu moins de deux heures, Icíar Bollaín traite avec brio des mécanismes d’une omerta toute-puissante, au risque d’avoir presque trop de choses à raconter.
Nevanka Fernandez, jeune femme politique récemment sortie d’études et élue au sein de la petite ville de Ponferrada, en Castille-et-León, est victime de harcèlement sexuel de la part du maire de la commune, Ismael Álvarez. D’abord incitée à garder le silence pour ne pas faire de vagues face à l’élu tout-puissant et aimé de tous, elle choisit de résister et entame un procès.
La cinéaste fait le choix d’un récit ordonné, presque cousu de fil blanc, ce qui crée naturellement une distance avec toute la douleur ressentie par la protagoniste.
En racontant une histoire aussi médiatisée et impactante que celle de Nevanka Fernández, plusieurs choix s’offraient à Icíar Bollaín : réaliser un film de procès, un film politique, un drame voire une proposition plus intimiste. Étonnamment, la cinéaste a choisi de faire tout cela à la fois, une initiative qui peut s’avérer cohérente pour ne pas laisser de doutes aux spectateurs quant à la gravité de cette affaire judiciaire d’un genre nouveau pour l’époque. En mettant en scène la jeune Nevanka (Mireia Oriol) depuis son arrivée à la mairie de Ponferrada jusqu’au procès pour harcèlement sexuel quelques années plus tard, la cinéaste fait le choix d’un récit ordonné, presque cousu de fil blanc, ce qui crée naturellement une distance avec toute la douleur ressentie par la protagoniste, qui n’en demeure pas moins incarnée par une actrice de talent.
Mireia Oriol multiplie les registres au long du film en incarnant une jeune Nevanka Fernández avant, pendant et après sa descente aux enfers. En passant de la jeune femme presque trop sûre d’elle en conseil municipal à la victime qui sursaute lorsque retentit la sonnerie de son téléphone cellulaire, l’actrice barcelonaise campe une future icône féministe très humaine, particulièrement lors de sa reconstruction psychologique au cours du troisième acte du film. Entre les stratégies mises en place par l’avocat, l’organisation du procès et la bataille d’opinion menée dans les médias espagnols, on pourrait presque déplorer que le film ne se soit pas concentré sur cette partie de l’affaire.
On peut toutefois saluer la performance d’Urko Olazabal, qui incarne Ismael Álvarez, le maire de Ponferrada qui se sert de sa position sociale et professionnelle pour exercer une emprise sur sa conseillère. En 2022, le comédien avait obtenu le Goya du meilleur acteur dans un second rôle pour sa performance dans Les Repentis (Maixabel), également réalisé par Icíar Bollaín. L’Affaire Nevanka marque donc la deuxième collaboration entre l’acteur et la cinéaste : une entente fructueuse aux vues des nuances dramatiques que peut apporter le comédien bilbayen, qui oscille constamment entre le sympathique maire de campagne souriant et le harceleur violent et dangereux, jusqu’à ce que les deux faces de l’élu ne se confondent en une seule lors du procès.
Avec L’Affaire Nevanka, Icíar Bollaín réalise un film d’utilité publique, qui illustre parfaitement les problématiques liées aux violences sexistes et sexuelles qui continuent d’affecter profondément nos sociétés. Toutefois, le long métrage tombe dans l’écueil propre aux films tirés de faits réels : proposer une réalisation trop classique qui sert froidement un récit qui n’aura pas été assez anglé pour en tirer une véritable expérience de cinéma.
RÉALISATEUR : Icíar Bollaín NATIONALITÉ : espagnole GENRE : drame AVEC : Mireia Oriol, Urko Olazábal, Ricardo Gómez, Carlos Serrano, Lucía Veiga, Luis Moreno, Javier Gallego, Mercedes del Castillo, Font García DURÉE : 1h57 DISTRIBUTEUR : Epicentre Films SORTIE LE 6 novembre 2024