Lady Bird : portrait d’une jeune fille décalée

Tout le monde connaît Greta Gerwig, l’actrice, sa maladresse gracieuse, son excentricité loufoque, sa sensibilité à fleur de peau, qu’on a pu aimer et admirer dans GreenbergFrances Ha ou Mistress America. On ne savait peut-être pas que dès l’enfance, elle souhaitait devenir dramaturge, a collaboré à des scénarios et a même coréalisé un film à l’âge de 24 ans, Nights and Week-ends. Les gens qui l’ont vue en interview s’étaient déjà rendu compte que, dans la vie, elle était légèrement différente de son image publique, lunaire  et fantaisiste. Greta Gerwig est en effet nettement plus sérieuse, concentrée et appliquée qu’elle ne le laisse paraître dans les films qu’elle a tournés. Ceux qui s’en étaient aperçus ne sont donc guère surpris de voir qu’elle devient réalisatrice à part entière et même un auteur qui compte, avec Lady Bird, Golden Globe 2018 de la meilleure comédie, sa comédienne Saoirse Ronan remportant le trophée de la meilleure actrice. 

Christine « Lady Bird » McPherson se bat désespérément pour ne pas ressembler à sa mère, aimante mais butée et au fort caractère, qui travaille sans relâche en tant qu’infirmière pour garder sa famille à flot après que le père de Lady Bird a perdu son emploi.

On était fans de Greta Gerwig actrice, on le devient de Greta Gerwig réalisatrice. Beau chemin réalisé par une jeune fille de Sacramento jusqu’aux Oscars où elle est nommée dans la catégorie-reine des meilleurs metteurs en scène.

A ses débuts, Greta était une figure de proue du mumblecore, pour le résumer vite fait, une sorte de Nouvelle Nouvelle Vague aux Etats-Unis, avec une production fauchée, des dialogues en partie improvisés et des acteurs non professionnels. Nights and week-endsson premier film co-réalisé avec Joe Swanberg, était très représentatif de ce mouvement, elle-même y jouant ainsi que son compagnon de l’époque un couple. Bien que Lady Bird, son premier film en solo, soit bien plus écrit et maîtrisé, sa nature autobiographique ne fait aucun doute, même si Greta la nie. Comme elle, son héroïne vient de Sacramento (à ne pas confondre avec San Francisco) une sorte de « Midwest de la Californie« , et passe sa dernière année dans une école catholique, avant d’aller à la faculté. Le seul détail qui ne soit pas vraiment autobiographique, c’est un léger décalage dans le temps, l’action étant située en 2002, pendant la guerre en Irak, alors que Greta Gerwig a vécu cette année en 1997-98. 

Pour le reste, elle s’est réellement projetée dans son alter ego féminin qu’interprète Saoirse Ronan, à la manière du personnage d’Antoine Doinel pour François Truffaut. Les parents de Christine exercent les mêmes métiers que ses propres parents et elle a en effet passé des années dans une école catholique. Christine McPherson est donc une jeune adolescente de 18 ans, un peu rebelle, très artiste, qui souhaite que tout le monde l’appelle Lady Bird. Elle ne s’entend pas avec sa mère, une infirmière qui a une très forte personnalité comme la sienne et tente de faire surnager son ménage, en dépit de la perte d’emploi du père, informaticien dépressif. Lady Bird vit du « mauvais côté des rails« , dans une famille qui a du mal à joindre les deux bouts, ce qui engendre chez elle une sorte de complexe d’infériorité de classe sociale.

Dans ce qu’on pourrait appeler un « teen movie », Lady Bird va donc s’émanciper progressivement de sa famille, en particulier de sa mère autoritaire, changer d’amis, en croyant changer ainsi de classe sociale, avant de s’apercevoir que la pimbêche qu’elle a élue comme amie vaut bien moins humainement que l’amie rondouillarde qu’elle a rencontrée en s’inscrivant au cours d’art dramatique. Elle va se réaliser et trouver un semblant de vocation en jouant au spectacle de fin d’année. Enfin, elle va changer de petit ami en une année, passant de Charybde en Scylla. Dans le registre de la chronique de famille acérée et tendrement ironique, les influences stylistiques de Woody Allen (père artistique qu’elle renie actuellement) ou de Noah Baumbach (son compagnon dans la vie) ne sont absolument pas masquées mais sont au contraire intégrées dans la transmission d’un vécu extrêmement personnel qui finit par atteindre l’universel. D’une certaine manière, Greta Gerwig ne cherche absolument pas à éviter les clichés mais nous fait part d’une expérience dans laquelle beaucoup de femmes (et même d’hommes) se reconnaîtront. Par exemple, cette réplique bouleversante venant du personnage dont on l’attend le moins «  certaines personnes ne sont pas construites heureuses, tu sais« . Tout est extrêmement bien écrit et subtilement observé, Lady Bird étant un modèle de précision et d’équilibre, réévaluant une notion ancienne de la mise en scène, très hawksienne. Greta Gerwig n’essaie pas en effet de faire d’amples mouvements de caméra, elle tourne tout ou presque en plans fixes. Le mouvement et le rythme du film sont uniquement créés à partir du découpage et du montage, assemblant des scènes parfaitement minutées dans un travail d’orfèvre. La mise en scène, c’est aussi cela, un patient travail d’assemblage pour permettre de dégager l’essence d’une histoire, ainsi qu’un écrin pour la performance d’une actrice, Saoirse Ronan, qui trouve son plus grand rôle à ce jour, depuis Reviens-moi. Fine et subtile, elle joue sa partition à l’unisson du film qui, mine de rien, impressionne par un tissage minutieux. On était fan de Greta Gerwig actrice, on le devient de Greta Gerwig réalisatrice. Beau chemin réalisé par une jeune fille de Sacramento jusqu’aux Oscars où elle est nommée dans la catégorie-reine des meilleurs metteurs en scène. 

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RÉALISATRICE : Greta Gerwig 
NATIONALITÉ :  américaine 
GENRE : comédie, drame 
AVEC : Saoirse Ronan, Laurie Metcalf, Tracy Letts, Lucas Hedges, Timothée Chalamet, Beanie Feldstein 
DURÉE : 1h35 
DISTRIBUTEUR : Universal Pictures International France 
SORTIE LE 28 février 2018