La Trilogie Retour vers le futur : une merveilleuse histoire du temps

Aujourd’hui la Trilogie Retour vers le Futur est devenue un classique et sans doute l’ensemble de films grâce auquel Robert Zemeckis restera dans l’histoire du cinéma, bien plus que pour Forrest Gump pourtant oscarisé, car cette trilogie de films n’a pas pris une ride, manifestant le même niveau d’inventivité, de cocasserie et d’hilarité jubilatoire qu’au premier jour et s’inscrivant très profondément dans l’inconscient collectif.

« Tu es en retard ! Le temps ne signifie rien pour toi ? » (Doc Brown, Retour vers le futur).

Retour vers le Futur I

Ce qui frappe aujourd’hui, en revoyant la trilogie, au-delà de la nostalgie très forte pour les années 80, voire pour les années 50 et des éléments de fétichisme comme la DeLorean ou le skateboard de Marty McFly, c’est le côté prophétique, quasiment visionnaire de ces films, en particulier le premier et le second. Dans le premier Retour vers le Futur, Il n’est pas interdit de voir en Goldie Wilson, l’employé noir de cafétéria en 1955, devenu maire de Hill Valley trente ans plus tard, à force de travail et d’études, une préfiguration de Barack Obama qui a très certainement vu ces films et y a peut-être perçu un encouragement, alors que l’idée d’un président noir des États-Unis était inconcevable dans les années 80. Dans Retour vers le Futur II, il est impossible en voyant les tours Biff élevées dans la réalité alternative de 1985 engendrée par l’utilisation de l’almanach sportif par Biff Tannen, le grand ennemi des McFly, de ne pas y voir plus qu’une allusion directe aux tours Trump. Quand on sait que Trump est désormais l’homme le plus puissant du monde, cela fait rétrospectivement froid dans le dos. Ronald Reagan, cité nommément dans une des répliques du premier film de la trilogie, avait pressenti cette dimension politique et visionnaire et lui a dans une certaine mesure rendu hommage en citant explicitement le film dans son Discours de l’État de l’Union en 1986 : « Là où on va, il n’y a pas besoin de routes. »

Si Retour vers le Futur est un classique absolu, on passe sans doute au chef-d’œuvre avec Retour vers le Futur II qui réussit l’exploit d’être plus court, plus dense et plus virtuose.

Pourtant le chemin a été semé d’embûches pour Zemeckis et son coscénariste et producteur Bob Gale. Dans une réalité alternative, Retour vers le Futur a bien failli s’appeler L’Homme de Pluton et Marty McFly aurait pu être interprété par Eric Stoltz. Dans cette hypothèse, il aurait fini oublié parmi des tonnes de DTV et cet article n’existerait même pas. Si Gale et Zemeckis ont pu mener à bien leur projet, c’est surtout grâce à Steven Spielberg qui a pesé de tout son poids pour le maintien du titre originel et a insisté pour remplacer le réfrigérateur prévu pour le voyage dans le temps par une DeLorean infiniment plus fantasmatique.

Retour vers le futur IISur le fond, Retour vers le Futur reste indépassable, même et surtout aujourd’hui, car tout repose sur une idée géniale de Bob Gale : et si en ayant le même âge que ses parents, on faisait connaissance avec eux jeunes, pensée qui a traversé tout adolescent par rapport à ses parents. De là s’ensuit le paradoxe temporel du grand-père (un voyageur temporel se projette dans le passé et tue son grand-père avant même que ce dernier ait eu des enfants. De ce fait il n’a donc jamais pu venir au monde. Mais, dans ce cas, comment a-t-il pu effectuer son voyage et tuer son grand-père ?) : dans le premier volet, Marty empêche ses parents de se rencontrer. Doc ordonne alors à Marty, sous peine d’ailleurs qu’il n’existe plus dans cette réalité modifiée, de rétablir la situation en provoquant un flirt entre ses parents au bal.

Cette situation présente une inversion intéressante du complexe d’Œdipe : contrairement à la figure tragique grecque de Sophocle, Marty ne veut pas tuer son père et faire l’amour à sa mère, mais au contraire promouvoir son père, George McFly, et repousser les avances de sa mère Lorraine, afin qu’il puisse naître. Cependant, même, ce faisant, quand Marty aura fait se réunir son père et sa mère, il reviendra en 1985 dans une réalité modifiée car de modeste employé, George McFly sera passé au statut d’écrivain reconnu. Marty aura modifié les choses en bien dans sa famille mais il les aura quand même modifiées.

Retour vers le Futur II allie la dimension expérimentale des œuvres d’Alain Resnais première manière et l’aspect fun des productions de divertissement estampillées Spielberg.

Si Retour vers le Futur est un classique absolu, on passe sans doute au chef-d’œuvre avec Retour vers le Futur II qui réussit l’exploit d’être plus court (1h44 contre 1h51), plus dense (trois réalités différentes au lieu de deux) et plus virtuose (les personnages se retrouvant souvent dans les situations temporelles où ils apparaissent déjà). En effet, alors que Retour vers le Futur se contente d’explorer la réalité temporelle de 1955, Retour vers le Futur II, faisant flèche de tout bois, passe la surmultipliée, en présentant la réalité de 2015, la réalité alternative de 1985 (énorme clin d’œil à La Vie est belle de Frank Capra) où Biff Tannen est devenu ultra-puissant et la vie est devenue un enfer à Hill Valley, et un retour à la situation de 1955, pour tenter de récupérer l’almanach à l’origine de la richesse malhonnête de Biff. Parfaitement équilibré, le film attribue une demi-heure à chaque partie et atteint des sommets de folie en faisant interpréter à Michael J. Fox les trois rôles de sa famille de 2015 ou en inscrivant le retour de ses personnages dans les situations de 1955, les faisant apparaître en double exemplaire.

Il est ironique de penser que l’orientation de cette suite est principalement dû au caprice financier de Crispin Glover, l’interprète de George McFly, qui a demandé une augmentation de salaire indécente par rapport à ses collègues, ce qui a obligé Gale et Zemeckis de se passer de ses services. D’où le filmage de George McFly, la tête à l’envers en 2015 et sa mort dans la réalité alternative de 1985. Grâce à ce refus, Gale et Zemeckis ont été contraints de redoubler d’inventivité, en créant un monde sans George McFly ou en utilisant les prises du premier film pour le retour en 1955. A eux seuls, les passages du hoverboard en 2015 ou la récupération de l’almanach dans le bureau du proviseur ou dans la voiture de Biff sont des morceaux de bravoure inégalables.

Robert Zemeckis a réussi un classique absolu qui enthousiasmera longtemps les spectateurs du monde entier, en défiant le temps.

D’une certaine manière, Retour vers le Futur II allie la dimension expérimentale des œuvres d’Alain Resnais première manière (MarienbadProvidenceJe t’aime, je t’aime) et l’aspect fun des productions de divertissement estampillées Spielberg.

Il n’en est pas de même avec le troisième volet qui est clairement le film de trop. On aurait pu espérer un volet encore plus délirant avec des personnages allant une deuxième ou troisième fois dans les réalités de 1955 ou 2015, et croisant deux autres exemplaires d’eux-mêmes. Il n’en a rien été : Retour vers le Futur III explore l’univers du western américain et se contente d’une sage exploitation des recettes du premier volet, en y greffant une histoire d’amour un peu superflue entre le Doc et une charmante institutrice, fan de Jules Verne. On retiendra néanmoins quelques éléments amusants, la parodie des westerns de Sergio Leone (Marty McFly se baptise Clint Eastwood) et surtout l’acceptation d’une certaine maturité, le personnage de Marty apprenant enfin à se contrôler lorsqu’une personne, pour le provoquer, le traite de mauviette.

Car, même si Retour vers le futur III, sans être raté, est très largement décevant et superflu, la boucle est bouclée. Le temps est comme Héraclite ou Nietzsche le proclamaient, un éternel retour : dans les trois volets, Biff Tannen se retrouvera dans du fumier ; Marty se fera traiter de mauviette ; il se réveillera également de ce qu’il croit être un cauchemar et apercevra à chaque fois sa mère dans l’obscurité qui le réconfortera. En s’inspirant pour le style de mise en scène des classiques hollywoodiens, Frank Capra et Billy Wilder, Robert Zemeckis a réussi un classique absolu qui enthousiasmera longtemps les spectateurs du monde entier, en défiant le temps.