La Syndicaliste : les dessous d’une entreprise

Trois ans après La Daronne, la paire Jean-Paul Salomé-Isabelle Huppert se reforme pour retracer cette fois-ci le parcours douloureux d’une femme, Maureen Kearney, déléguée syndicale au sein d’Areva, une grande multinationale française spécialisée dans l’énergie nucléaire. Son agression, qui fut l’objet d’une médiatisation en 2012, bénéficie, avec ce film, d’une nouvelle exposition permettant de remémorer cette mystérieuse affaire. Avec un souci du détail n’omettant aucun élément, La Syndicaliste explore les arcanes du pouvoir, les coulisses d’une grande société, avec ses conflits, ses luttes internes. La retranscription des faits est si minutieuse que le visionnage de ce long-métrage peut s’avérer éprouvant, mais valorise pourtant le combat d’une femme engagée, soucieuse pour la masse salariale, que l’on appellerait maintenant une lanceuse d’alerte. Isabelle Huppert rayonne encore dans cette nouvelle réalisation de Jean-Paul Salomé qui, sans être un film à charge, dénonce l’envers du décor d’une grande société, un monde impitoyable et désillusionnant.

Maureen Kearney, déléguée syndicale chez Areva, découvre l’existence d’un accord permettant la construction d’un puissant réacteur nucléaire sur le sol chinois. En s’opposant à cela, elle se retrouve victime d’un odieux acte censé la faire taire.

L’univers d’une entreprise, ses malversations, ses petites tractations illégales, ses contrats secrets, voici ce que dépeint La Syndicaliste. Entre une direction pensant aux profits, se détournant de la réalité du travail, et les aspirations personnelles, ce film bien fait résume, et ce de manière redoutable, comment une société de grande renommée dirigée par des élites masculines omniprésentes peut être le théâtre de doutes, de suspicions.

Ce que révèle ce film n’est pas que le combat d’une femme syndiquée souhaitant assurer et maintenir le bon avenir professionnel des travailleurs, mais la description d’une structure où la virilité des grands patrons domine avec outrecuidance et misogynie. En témoigne l’histoire de l’ancienne présidente du groupe Areva, Anne Lauvergeon (Marina Foïs) qui fut souvent l’objet de critiques internes virulentes. Maureen Kearney, en voulant dénoncer un contrat pouvant mettre en danger des milliers d’emplois, se retrouve cependant dans une position inconfortable, celle d’une personne qui dérange. À vouloir s’insurger contre un probable scandale politico-nucléaire, elle finit par en payer le prix cher. Le film, bien composé, part de cette terrible agression et puis développe une argumentation solide, axée sur une instruction judiciaire plus que balbutiante. La Syndicaliste délivre le récit d’une femme se battant pour la vérité, contre vents et marées, subissant les lois d’un système régi par la peur et les intimidations.

Beaucoup d’interrogations subsistent encore sur cette affaire. Bien sûr, l’œuvre prend le parti de cette femme blessée, tourmentée, sans doute traumatisée à vie. Toutefois, ce n’est pas un film enquête délivrant son propre point de vue, même si les différentes représentations des dirigeants masculins sont tout de même peu flatteuses. Les principaux protagonistes sont ici présentés avec leurs véritables noms, ce qui renforce de façon efficace toute l’authenticité de l’ensemble, le scénario se trouvant au plus proche de la réalité. Sans vouloir désigner de potentiels suspects, l’écriture laisse cependant planer de nombreux doutes. Aussi, la mise en images de ces faits hautement condamnables attire l’attention sur cette Maureen Kearney. Effectivement, La Syndicaliste évoque un événement sordide, mais fait ainsi découvrir le visage d’une femme sans doute bien méconnue aujourd’hui, une lanceuse d’alerte. Surtout, l’implacable et si oppressante évocation d’une forme de torture perverse ne peut qu’entrainer indignation, incompréhension, et un profond sentiment de déshumanisation. Aussi, le film se change en un hommage à une femme dont les multiples traumatismes, si évidents à comprendre, perdurent. Difficile à regarder à cause de bien tristes émotions largement partagées, nul doute qu’il puisse aussi procurer un malaise, une forme d’exaspération contre ces agresseurs, contre toute une autorité qui doit prendre ses responsabilités, contre une justice laborieuse. L’interprétation épatante d’une Isabelle Huppert au teint très frais donne encore plus de crédit au film, offrant à ce personnage tout ce qu’il faut de fragilité et de persévérance.

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RÉALISATEUR : Jean-Paul Salomé
NATIONALITÉ : France
GENRE :  Drame
AVEC : Isabelle Huppert, Yvan Attal, Gregory Gadebois, François-Xavier Demaison, Marina Foïs
DURÉE : 2 h 01
DISTRIBUTEUR : Le Pacte
SORTIE LE 1er mars 2023