La Sirène : entre guerre et espoir

                                                  

Présenté lors du Festival du Film d’Animation d’Annecy 2023, l’œuvre de la réalisatrice iranienne Sepideh Farsi sonde, en images et en couleurs, toutes les strates d’une société meurtrie par la guerre entre l’Iran et l’Irak. La Sirène est une leçon proposant un regard critique sur ce conflit ayant servi à transformer tout en pays, provoquant l’arrivée au pouvoir de l’Ayatollah Khomeiny. 

Le conflit entre L’Iran et l’Irak s’éternise, plongeant tout un pays sous les bombes et le chaos. Face à ces attaques massives et aux destructions, un jeune homme décide de fuir avec le bateau de son père décédé.

Alors que le cinéma iranien continue de montrer sa grande vitalité, dans un contexte pourtant difficile, ce splendide film d’animation remet en mémoire le passé d’un pays secoué, avec l’évocation de cette guerre meurtrière provoquant la mort de presque 200 000 personnes, changeant durablement tout un système politique.

À travers le regard du jeune Omid, toute une partie de l’histoire iranienne se dévoile sous nos yeux, ses yeux embués décrivant la tristesse d’un peuple subissant une violence quotidienne dans une région dévastée, puis une forme d’espérance symbolisée par des velléités de départ, d’une fuite pour éviter un probable décès. Sepideh Farsi démontre avec son film que l’animation devient un moyen non négligeable pour expliquer des faits historiques, décrire la véracité des faits, avec une justesse saisissante ainsi qu’une puissance émotionnelle rare. Les images animées se projettent, les couleurs chaudes, le feu et le sang, dans une ville menacée par les bombardements et les destructions. Sous l’incessant bruit des missiles, se trouve une population survivante, condamnée à exister tant bien que mal avec le spectre d’une mort probable. Cette appréhension, la crainte de l’avenir, Sepideh Farsi l’exprime fort bien, recréant ainsi une atmosphère instable, anxiogène, dans laquelle Omid tente de subsister, comme beaucoup d’autres. Les techniques animées proposent de multiples possibilités, procurent autant de réalisme qu’un véritable film de guerre, nous immergent dans un climat de peur palpable, réussissant surtout à nous représenter efficacement cette période sombre, les séquences se substituant aisément à n’importe quel manuel historique. Surtout, ce que raconte la cinéaste devient le cri de désespoir de toute une société écrasée sous le poids des décès et d’un conflit s’enlisant durablement, les offensives irakiennes déstabilisant profondément le désir d’espoir de toute une génération d’innocents.  

La dévastation et l’insécurité se rajoutent aux sentiments négatifs du peuple iranien, plongé sous la contrainte d’une survie permanente, devant supporter douloureusement les attaques, se nourrissant avec peu de solutions alimentaires, dans une existence rendue misérable. Autant de conséquences liées à cette tragédie sanguinolente qui ne cesse de monter en intensité durant huit ans, de longues années où la souffrance règne en maitre chez des habitants déjà durement marqués. De l’impuissance surgit une inquiétude, celle de connaitre un sort funeste au milieu des débris, également celle de ne pouvoir choisir la fuite. Fuir, voici ce qui anime Omid, que Sepideh Farsi change en héros, celui par qui l’espérance passe par une migration nécessaire. Avec son Lenj, un bateau traditionnel iranien, le jeune homme souhaite naviguer vers des contrées plus sûres, emportant avec lui ses compatriotes désireux de vivre un futur convenable. En racontant cette volonté d’émigrer, l’œuvre se positionne, explicite les compréhensibles raisons d’un départ, souvent la seule issue pour continuer d’exister, ainsi que des situations rappelant tristement que les bouleversements mondiaux s’accompagnent d’un flux migratoire important, une issue essentielle pour échapper à un destin terrible. Néanmoins, quitter son environnement natal a ses conséquences. Omid, sous ses aspirations aventurières et son souhait de se tourner vers l’avant, regarde aussi ce qu’il laisse, un pays ruiné, preuve que La Sirène développe aussi le récit d’un adolescent soucieux de la situation très fragile de milliers d’autres Iraniens.  

Le propos fortement juste se trouve complètement magnifié par des procédés créatifs, la cinéaste adoptant de puissants choix dans la gestion des couleurs, agissant comme une photographie glauque, avec ce jaune puis ce rouge matérialisant les odeurs omniprésentes de fumée, ce brouillard épais enveloppant toute une ville suffocant sous la poussière et un air irrespirable. À la manière d’un documentaire, le film capte les instants où les douleurs physiques se mélangent aux souffrances mentales, choisissant des plans dignes d’un film de guerre, où les missiles pleuvent sur les infrastructures. Les émotions se lisent sur le visage des personnages, avec une animation de qualité, immergeant totalement son spectateur dans un récit poignant, respectant les faits, avec le sens des réalités, basculant dans une vérité souvent indicible, mais qui fait terriblement écho à certaines catastrophes actuelles. Alors que l’Iran subit depuis longtemps une politique injuste, La Sirène narre aussi une époque pleine de liberté, s’ouvrant aux formes artistiques, laissant poindre une nostalgie. 

 

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RÉALISATEUR : Sepideh Farsi
NATIONALITÉ :  France/Allemagne/Luxembourg/Belgique
GENRE : Animation
AVEC : Mina Kavani, Hadmidreza Djavdan
DURÉE : 1 h 40
DISTRIBUTEUR : Bac Films
SORTIE LE 28 juin 2023