La Pampa : un premier film bouleversant et d’une grande justesse

Présenté à la Semaine de la Critique au dernier Festival de Cannes où il a bouleversé les festivaliers, le premier long métrage d’Antoine Chevrollier (qui a réalisé auparavant des épisodes des séries Baron noir et Le Bureau des légendes, et créé Oussekine pour Disney+) est une grande réussite tant sur le plan de la réalisation que de la direction d’acteurs.

Willy et Jojo sont amis d’enfance et ne se quittent jamais. Pour tuer l’ennui, ils s’entraînent à la Pampa, un terrain de motocross. Un soir, Willy découvre le secret de Jojo.

En quelques plans, Chevrollier saisit ce qui va se jouer entre ces deux amis mais aussi entre tous les membres de cette communauté, notamment en filmant des attitudes, des regards qui en disent bien plus que de longs discours.

Pourtant, l’ouverture du long métrage (un défi aussi dangereux que stupide) laissait présager une énième version de film d’adolescents, avec son lot de scènes attendues, mais il n’en est rien (c’est même tout le contraire qui se produit) : des jeunes à moto sont sur une portion de route et l’un d’eux décide pour impressionner les autres de traverser la route au niveau d’un croisement en grillant le stop, au mépris du danger. Il s’appelle Jojo et n’a, visiblement, peur de rien. Son meilleur ami, Willy, a bien tenté de le dissuader mais en vain. Tout se termine « bien », on rentre alors dans leur univers (qui tourne autour d’un championnat de moto-cross) et leur quotidien qui se déroule dans un village du Maine-et-Loire (où a d’ailleurs vécu le cinéaste) avec pour lieu central, le terrain sportif nommé la pampa (et qui donne son titre au film). En quelques plans, Chevrollier saisit ce qui va se jouer entre ces deux amis mais aussi entre tous les membres de cette communauté, notamment en filmant des attitudes, des regards qui en disent bien plus que de longs discours. Jojo, qui semble être joyeux et combatif, prépare les courses sous la direction de son père (Damien Bonnard, très bien) et de son entraîneur (Artus, remarquable dans un rôle sérieux), alors que Willy, plus réservé et toujours marqué par la mort de son père, révise plus ou moins sérieusement son baccalauréat. Ce qui frappe d’emblée dans La Pampa, c’est la justesse avec laquelle le cinéaste observe tous les protagonistes du récit qui vivent dans un monde conventionnel que d’aucuns qualifieraient d’archaïque (un lieu bien français, en réalité), sans pour autant les juger dans un geste moralisateur (même les attitudes les plus détestables sont le résultat en quelque sorte d’un certain ordre préétabli). Le fait qu’Antoine Chevrollier connaisse parfaitement l’environnement dans lequel il filme est à n’en pas douter un atout lui permettant de déjouer la plupart des poncifs liés à ce genre de production : « Je me suis rappelé cet endroit enfoui dans ma mémoire, c’était un assemblage de sensations, de bruits, de grouillements sonores et visuels. J’ai alors imaginé un récit qui pouvait naître de ce lieu si particulier. » Néanmoins, La Pampa n’est pas à proprement parler autobiographique, l’écriture des personnages lui a permis de garder une distance avec son propre vécu.

Ce qui frappe d’emblée dans La Pampa, c’est la justesse avec laquelle le cinéaste observe tous les protagonistes du récit qui vivent dans un monde conventionnel que d’aucuns qualifieraient d’archaïque

La rupture dans le récit survient lorsque Willy découvre le secret de Jojo, un secret qui va être révélé au grand jour et qui aura un impact, telle une déflagration, sur l’ensemble des habitants du village : conflit entre Jojo et ses parents qui refusent de voir leur fils tel qu’il est, cyberharcèlement, insultes et rejet de ce dernier par ses copains, excepté Willy qui essaye d’aider son ami mais se sent complètement démuni face à la situation dramatique qui se profile. C’est dans cette deuxième partie que se construit encore plus la grande réussite du film, la démarche d’Antoine Chevrollier ne consistant pas à tout surligner, à rendre tout explicatif. La subtilité avec laquelle sont traités des problèmes majeurs qui touchent aujourd’hui de nombreux adolescents est remarquable. Si l’émotion surgit et ne quittera plus le spectateur, elle n’est jamais artificielle, d’une grande sincérité et frappe alors en plein cœur. Toute la dernière portion est à ce titre déchirante. L’interprétation des deux héros, Amaury Foucher (Jojo) et Sayyid El Alami (Jojo), repéré dans Oussekine, y est pour beaucoup : ils sont formidables de présence, apportant une réelle intensité à leur jeu.

Par ailleurs, le film est porté par de vraies intentions de mise en scène, avec une caméra toujours au plus près de ses personnages mais aussi avec des travellings

Si La Pampa évoque la place que tout un chacun doit avoir au sein de la société, la difficulté d’affirmer sa différence dans une structure encore patriarcale régie par des codes archétypaux, ainsi que les ravages de la rumeur sur les réseaux sociaux, il le fait avec pertinence, sans tomber dans le film-dossier, ni aucun misérabilisme. Par ailleurs, le film est porté par de vraies intentions de mise en scène, avec une caméra toujours au plus près de ses personnages mais aussi avec des travellings, à l’image de la séquence de la compétition ultime dans laquelle Chevrollier, par des plans subjectifs, réussit à rendre palpable la tension liée à l’événement mais qui correspond en réalité à celle de Willy (qui remplace son ami Jojo), au traumatisme qu’il vit et dont découle sa décision finale, radicale et très forte.

avec ce premier long métrage maîtrisé et bouleversant, Antoine Chevrollier est désormais un cinéaste dont on va suivre la carrière avec grand intérêt.

A chaque édition cannoise, les critiques et les festivaliers, s’ils se pressent pour aller voir les grands noms de la compétition, attendent aussi (et surtout) de dénicher de nouveaux talents, essentiellement dans les sections parallèles. On peut aisément dire qu’avec d’autres longs métrages La Pampa a comblé cette attente : avec ce premier long métrage maîtrisé et bouleversant, Antoine Chevrollier est désormais un cinéaste dont on va suivre la carrière avec grand intérêt.

4

RÉALISATEUR : Antoine Chevrollier
NATIONALITÉ : France 
GENRE : Drame
AVEC :  Sayyid El Alami, Artus, Amaury Foucher, Damien Bonnard
DURÉE : 1h43
DISTRIBUTEUR : Tandem
SORTIE LE 5 février 2025