La Nuée : Nuages épars

Dans la Nouvelle Vague du cinéma « de genre d’auteur » français, il existe Julia Ducournau (Grave) consacrée depuis par la Sélection Officielle de Titane, Hubert Charuel récompensé par une flopée de César (Petit Paysan), les frères Boukherma (Teddy) et pour le cas qui nous occupe ici, Just Philippot (La Nuée). Les quatre films partagent le point commun d’être tous des premiers films, inaugurant une sorte de nouvelle tendance du cinéma français. Trois films sur quatre, hormis Teddy, ont pour point commun d’avoir été révélés par la Semaine de la Critique lors de ces cinq dernières années. Trois films sur quatre, sauf La Nuée, ont été écrits par leur metteur en scène. Pourtant Just Phillipot semble être obsédé par le film de genre, depuis les courts métrages qu’il a réalisés et parfois écrits (Acide, Ses Souffles, Denis et les Zombies). Il semble avoir été séduit par le scénario de Jérôme Genevray et Franck Victor qui lui permettait de rester fidèle à son obsession, tout en ayant plusieurs niveaux thématiques, une approche naturaliste de la ruralité, un sous-texte psychanalytique, un aspect de conte étrange.

Veuve d’un mari qui s’est suicidé quelques temps auparavant et mère de deux enfants, l’adolescente Laura et le gamin Gaston, Virginie tente de sauver son exploitation agricole en élevant des sauterelles comestibles. Mais à la suite d’un accident, elle va finir par nouer un lien étrange avec ces créatures qui vont devenir progressivement assoiffées de sang…

Film de genre plutôt réussi, La Nuée en reste au niveau du drame intime d’une famille alors que son réalisateur aurait peut-être espéré en faire la métaphore d’une catastrophe plus universelle.

Tout comme Petit Paysan, La Nuée fait le portrait d’une France agricole qu’on perçoit peu dans les médias, parce qu’elle va manifestement mal. Elevages contaminés, sauterelles meurtrières : la métaphore paraît claire par rapport à un pays rural dont les ressources semblent décimées, épuisées, en fin de vie. Just Philippot s’attache tout d’abord à décrire de manière scrupuleuse et authentique les tourments d’une propriétaire agricole qui ne sait comment faire fonctionner son exploitation, avant de basculer dans l’horreur la plus totale, suite à un accident digne d’un film de Cronenberg. Les difficultés de la chef d’entreprise de doublent d’une intrigue sentimentale qui la laisse dubitative avec un dénommé Karim, rejeté d’emblée par sa fille Laura. On ne peut nier l’efficacité certaine du film dans sa graduation vers un fantastique mâtiné d’horreur. Néanmoins le sous-texte psychanalytique (le non-remplacement du père, condition sine qua non de l’entente entre la fille et la mère) semble relativement prévisible et n’emeut guère en raison du manque d’empathie que l’on peut éprouver envers les personnages du film. En dépit de l’interprétation irréprochable de Suliane Brahim et Marie Narbonne (la mère et la fille), il manque une dimension proprement symbolique de La Nuée qui aurait renvoyé à celle d’un véritable classique de ces dernières années, comme Take Shelter de Jeff Nichols.

Film de genre plutôt réussi, il manque à La Nuée un degré supplémentaire de tragique ou d’horreur pour nous troubler davantage comme ont pu le faire Grave ou Teddy. Tel quel, La Nuée en reste au niveau du drame intime d’une famille alors que son réalisateur aurait peut-être espéré en faire la métaphore d’une catastrophe plus universelle. La Nuée n’en est pas moins suffisamment intrigant pour que l’on souhaite découvrir avec intérêt le prochain film de Just Philippot.

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RÉALISATEUR : Just Philippot
NATIONALITÉ : française
AVEC : Suliane Brahim, Marie Narbonne, Sofian Khammes
GENRE : drame, fantastique, horreur
DURÉE : 1h41
DISTRIBUTEUR : Les Bookmakers/The Jokers
SORTIE LE 16 juin 2021