La Maison du Docteur Edwardes : psy, Bergman et Hollywood

 

En dépit des révélations de Tippi Hedren sur le comportement d’Alfred Hitchcock lors du tournage des Oiseaux et de Pas de printemps pour Marnie, encore davantage mises en lumière depuis #MeToo, l’aura du cinéaste britannique n’en a pas véritablement souffert. Il est resté l’un des cinéastes préférés de l’ensemble des cinéphiles. Tout au plus, Vertigo, son film le plus précieux, a-t-il perdu sa place de plus grand film de tous les temps, décernée par Sight and Sound en 2012, au profit de Jeanne Dielman de Chantal Akerman en décembre 2022. La Maison du Docteur Edwardes (Spellbound) fait partie d’une trilogie informelle tournée dans les années 1940 avec la magnifique Ingrid Bergman. Si Les Enchaînés est considéré comme l’un des chefs-d’oeuvre d’Hitchcock et Les Amants du Capricorne possède des défenseurs acharnés qui le tiennent pour leur film préféré, La Maison du Docteur Edwardes, premier volet de cette fausse trilogie, est souvent dédaigné, voire méprisé par beaucoup de spectateurs. Pourtant, à la revoyure, ce film d’Hitchcock tient merveilleusement le choc : à la fois très rigoureux dans sa mise en scène et joliment onirique, La Maison du Docteur Edwardes soutient tranquillement sa réputation de premier film sur la psychanalyse.

Constance, médecin dans un asile d’aliénés, tombe amoureuse du nouveau directeur. Cependant, elle s’aperçoit rapidement que l’homme qu’elle aime est en réalité un malade mental qui se fait passer pour le Dr Edwardes. Quand il prend conscience de son amnésie, il croit avoir tué le véritable docteur et s’enfuit de la clinique. Constance le retrouve et le cache chez son vieux professeur qui va analyser les rêves du malade et trouver l’origine de son déséquilibre.

A la fois très rigoureux dans sa mise en scène et joliment onirique, La Maison du Docteur Edwardes soutient tranquillement sa réputation de premier film sur la psychanalyse.

Si Ingrid Bergman est devenu un mythe, c’est en partie parce qu’elle était la plus grande star d’Hollywood entre 1941 et 1949, La Maison du Docteur Edwardes, produit par David O. Selznick et mis en scène par Alfred Hitchcock en 1945 est ainsi l’un des points culminants de sa carrière. Quelques années plus tard, elle deviendra également le visage du cinéma moderne, en participant à Stromboli de Roberto Rossellini, prélude à une grande histoire d’amour et à une tétralogie qui a changé la physionomie du cinéma : Stromboli donc, puis Europe 51, La Peur et Voyage en Italie. Si Ingrid Bergman a autant marqué les consciences cinéphiles, c’est en fait pour sa double postulation hollywoodienne et néoréaliste, l’une des rares actrices, peut-être la seule à avoir brillé au plus haut niveau dans les deux domaines du divertissement grand public et du film d’auteur.

La Maison du Docteur Edwardes a longtemps pâti d’une mauvaise réputation due aux commentaires de Truffaut et d’Hitchcock dans le fameux livre d’entretiens avec Hitchcock. Truffaut n’aimait pas beaucoup le film, le considérant en-deçà de son potentiel de grand film sur la psychanalyse. Hitchcock, ne voulant guère le contrarier, n’a pas vraiment défendu La Maison du Docteur Edwardes. Le point Godwin est d’ailleurs atteint lorsque Truffaut démolit Gregory Peck en le qualifiant de creux et sans regard. Hitchcock laisse son jeune admirateur discourir alors qu’il a réengagé Peck par la suite dans Le Procès Paradine. Il faut souligner que Gregory Peck s’est surtout illustré de façon remarquable dans des films de Raoul Walsh (Capitaine sans peur, Le Monde lui appartient), William Wyler (Vacances romaines, Les Grands Espaces), John Huston (Moby Dick) ou encore King Vidor (Duel au soleil) et Henry King (David et Bethsabée, Les Neiges du Kilimandjaro), tous cinéastes dont François Truffaut faisait peu de cas et méprisait ouvertement, erreurs critiques notables que la plupart des fans de Truffaut oublient trop facilement en lui attribuant généreusement un bon goût irréfutable.

Or Gregory Peck est vraiment très crédible en amnésique complètement perdu dans sa double identité. Le film est également très beau dans toute sa partie onirique : les portes qui s’ouvrent au moment du coup de foudre, la scène des barreaux et évidemment la séquence de rêve conçue par Salvador Dali, engagé par David O. Selznick à cette occasion. Cela permet à Hitchcock de rendre un timide hommage via Dali à Luis Buñuel, l’un des rares cinéastes l’ayant véritablement impressionné, et le compliment n’est pas mince, ce cher Alfred étant particulièrement avare de compliments.

Alors certes, il sera toujours possible de reprocher à cette intrigue psychanalytique un certain manque de folie, le roman étant, paraît-il, totalement délirant. Mais tel quel, La Maison du Docteur Edwardes mérite à l’évidence d’être grandement réévalué et tient splendidement son rang dans la sélection de Cannes Classics 2023.

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RÉALISATEUR : Alfred Hitchcock 
NATIONALITÉ :  américaine, britannique
GENRE : thriller, policier, drame 
AVEC : Ingrid Bergman, Gregory Peck, 
DURÉE : 1h50 
DISTRIBUTEUR : 
SORTIE LE Prochainement