Après Sweat sorti en 2020, le réalisateur suédois Magnus von Horn récidive, et de fort belle façon, avec La Jeune femme à l’aiguille, film remarquable qui risque de choquer ou d’émouvoir. Le cinéaste raconte la grande descente aux enfers d’une pauvre femme, à une époque lointaine où la condition sociale était déjà loin d’être brillante. Très souvent émotionnellement froid, le récit emprunte de nombreuses directions, tout cela pour montrer une existence moribonde, celle d’une épouse démolie par une succession d’événements malheureux. Plus qu’une évocation âpre de cette vie miséreuse, il s’agit surtout d’un portrait poignant qui vise à représenter la condition féminine tout en traitant du sujet de la maternité et de l’adoption.
Copenhague, 1918. Karoline, une jeune ouvrière, lutte pour survivre. Alors qu’elle tombe enceinte, elle rencontre Dagmar, une femme charismatique qui dirige une agence d’adoption clandestine. Un lien fort se crée entre les deux femmes et Karoline accepte un rôle de nourrice à ses côtés.
La Jeune femme à l’aiguille est l’histoire d’une ouvrière qui coud des uniformes mais qui en doit en découdre avec la vie difficile de l’après-Première Guerre mondiale.
Magnus von Horn rentre de suite dans le vif du sujet en positionnant sa caméra à l’intérieur d’une usine pleine de petites mains féminines qui conçoivent les tenues des soldats. Parmi elles se trouve Karoline, dont le mari est parti combattre sur le front. Ce personnage, contraint à produire en masse pour un salaire de misère, ne parvient pas à joindre les deux bouts, payer son loyer, et se retrouve dans un taudis plus que miteux. Dès lors, le film ne fait qu’énumérer toutes les galères possibles et inimaginables, de l’expulsion à l’amour impossible gâché par la méchanceté d’une propriétaire bourgeoise en passant par le fantasme inassouvi de la maternité. Magnus von Horn déroule tout cela, et filme la faiblesse de la gent féminine à cette époque. Le récit est ainsi constamment rempli d’une intense dramaturgie, à tel point qu’il est tout à fait facile de se mettre à la place de ce personnage qui subit des drames personnels et familiaux. Émouvant mais parfois d’une froideur absolue, La Jeune femme à l’aiguille est bien le genre de film qui fait certainement réfléchir, crée de la compassion, de la pitié, mais qui risque également d’être parfois lourd au niveau des émotions négatives. Toutefois, le contexte n’était pas tout rose non plus, et Magnus von Horn a cette bonne idée de décrire la réalité sociale.
La Jeune femme à l’aiguille emprunte à d’autres styles cinématographiques, pour raconter ce récit qui mélange analyse sociétale et études des traumatismes de la guerre.
L’influence néo-réaliste est parfaitement visible dans certains passages, en particulier ceux où la jeune femme, amoureuse de son patron, se retrouve confrontée au rejet d’une mère bourgeoise. La lutte des classes est alors assez palpable et la trajectoire sinueuse de Karoline peut ressembler à celle de Cabiria dans Les Nuits de Cabiria, dans lequel on voit le mépris des classes et donc l’opposition des milieux sociaux. Le cinéaste dépeint un réalisme social édifiant, avec en prime la présence d’un mari à la gueule cassée qui se retrouve à jouer le monstre dans un Barnum. La Jeune femme à l’aiguille n’est pas une histoire de saltimbanques, mais plutôt celle d’un couple détruit par la guerre qui se retrouve sur le chemin de l’errance, à l’instar des quelques personnages felliniens. Toutefois, le visage défiguré de l’homme renvoie à l’expressionnisme allemand, tout comme le côté sombre du film. La dernière partie rajoute une bonne dose de désespoir, en virant vers une atmosphère malaisante et glauque. Malgré l’énorme pesanteur dramatique qui règne, ne faiblit pas et ne montre aucun soubresaut positif, la beauté de l’œuvre réside dans la caractérisation d’un personnage qui se bat contre vents et marées, fantasmant son désir de maternité anéanti par les dérives meurtrières d’une femme aux penchants psychopathiques. Le long-métrage de Magnus von Horn est difficile à regarder, manque probablement de poésie ou d’instants plus légers, mélange un peu trop les styles, mais reste cependant d’une grande maîtrise, très bon dans la radicalité, et esthétiquement réussi.
RÉALISATEUR : Magnus von Horn NATIONALITÉ : Danemark, Pologne, Suède GENRE : Drame AVEC : Trine Dyrholm, Victoria Carmen Sonne DURÉE : 1h55 DISTRIBUTEUR : Bac Films SORTIE LE