La Fine Fleur : merci patronne !

Qu’il est dur d’être patron de nos jours ! C’est bien connu : la France, cet odieux pays communiste, assaille les propriétaires de taxes, de charges et d’impôts. Les patrons sont méprisés, insultés – eux qui, pourtant, fournissent tant d’emplois et tant de chances à leurs employés ! Peut-être plus encore depuis la pandémie, le mythe du petit patron de PME se battant vaillamment face aux éléments pour préserver son humble exploitation à échelle humaine fait pleurer dans les chaumières. Il n’y a alors rien de surprenant à ce que Pierre Pinaud se réapproprie ce mythe dans La Fine Fleur, en faisant incarner par la populaire Catherine Frot une patronne se battant contre vents et marées pour préserver son exploitation et la sauver du redressement judiciaire. Cependant, dans un contexte où le cinéma français est accusé de se maintenir dans des fantaisies bourgeoises déconnectées du réel (à ce titre, l’exemple de Seize Printemps de Suzanne Lindon est très parlant), que peut-on espérer de La Fine Fleur ? Faut-il en attendre un récit faisant justice aux questions de l’emploi et de la précarité, ou faut-il au contraire en attendre encore un énième film français cherchant à faire populaire en traitant grossièrement des déboires liés au travail ? Bien malheureusement, la réponse à cette question s’impose d’elle-même – et ce, dès les premiers moments du film.

Ève Vernet, créatrice de roses au fort caractère dont la carrière est sur le déclin, s’obstine à refuser tout compromis et partenariat avec son puissant concurrent. Alors que son entreprise est sur le bord du redressement judiciaire, sa secrétaire prend l’initiative de recruter trois employés en insertion pour profiter des aménagements de charges sur leur salaire. Avec trois bras cassés sans aucune formation horticole sur les bras, Ève Vernet bataille pour sauver son exploitation à tout prix – quitte à sortir des méthodes conventionnelles.

Loin d’être un film sur la précarité, La fine fleur est plutôt un film sur la grande âme d’une bourgeoise, prête à éduquer le bas peuple dans sa grande miséricorde, leur donnant cette merveilleuse chance qu’est l’emploi, les tirant de leur misère et de leur ignorance – en bref, un film fleur bleue qui n’a rien à envier au paternalisme ouvrier le plus grossier du XXème siècle.

Sur le plan technique, La fine fleur est un film tout ce qu’il y a de plus honnête. Guidé par l’interprétation de Catherine Frot, qui incarne non sans charisme un personnage féminin plutôt riche et sympathique, le film est convaincant. De la construction de l’image à la structuration du scénario, tout est techniquement bien exécuté : les plans sur les collines de roses ou les intérieurs riches de la maison d’Ève Vernet sont très bien mis en valeur dans la colorimétrie ; le découpage des plans, plutôt classique, fait très bien son travail et articule la narration fluidement, sans à-coups. Le scénario arrive même parfois à se jouer de certains clichés narratifs, déjouant avec assez d’agilité quelques clichés sur son casting de marginaux. Somme toute, si on en reste à la surface, La fine fleur est un film tout à fait agréable, esthétiquement assez satisfaisant.

Cependant, le problème du film n’est pas en surface : il est à la racine. Car pour un film qui prétend s’attaquer à la question de la précarité, La fine fleur fait plus de mal que de bien. Si Catherine Frot se taille la part belle du film, les autres rôles, notamment ceux des trois marginaux, sont insultants de stéréotypes et de condescendance mal placée. Le plus saillant est bien évidemment le rôle de Fred, jeune de banlieue passé plusieurs fois par la prison, qui, bien sûr, ne pense qu’à planter du cannabis dans les serres d’Ève Vernet. Mais Nadège, jeune femme timide qui apprend à prendre confiance en elle grâce à son emploi, ne pâlit pas dans ce festival de paternalisme mal placé. Sans compter sur le rôle du vieux Samir, dangereux syndicaliste dont le film n’hésite pas une seconde à sous-entendre que son manque d’insertion professionnelle a très certainement pour source sa fâcheuse tendance à invoquer les prud’hommes.

Car non, dans ce film sur la précarité, le problème n’est pas l’employeur, le gouvernement ou l’économie. Le problème, très loin de là, est qu’il manquait à ces trois marginaux une grande dame, une patronne à même de les valoriser. Ainsi, de manière assez insultante, Catherine Frot devient une improbable mère du peuple, se substituant dans ses peignoirs de satin aux parents absents de Fred, donnant une chance à ce talent brut de se raffiner loin de sa misérable condition d’origine. Loin d’être un film sur la précarité, La fine fleur est plutôt un film sur la grande âme d’une bourgeoise, prête à éduquer le bas peuple dans sa grande miséricorde, leur donnant cette merveilleuse chance qu’est l’emploi, les tirant de leur misère et de leur ignorance – en bref, un film fleur bleue qui n’a rien à envier au paternalisme ouvrier le plus grossier du XXème siècle. Une posture politique qui peut peut-être se résumer à cette scène proche de la fin du film, dans laquelle le trio de choc s’accorde pour dire que plus que leur travail, ce qui compte pour eux c’est Ève Vernet, leur mère d’adoption. Non, le plus important, ce n’est pas l’emploi ! C’est Catherine Frot… Mais n’est-ce pas là, au fond, la plus belle des morales ?

2.5

RÉALISATEUR : Pierre Pinaud
NATIONALITÉ : Française
AVEC : Catherine Frot, Melan Omerta, Fatsah Bouyahmed
GENRE : Comédie
DURÉE : 1h34
DISTRIBUTEUR : Diaphana Distribution
SORTIE LE 30 juin 2021