La Colline où rugissent les lionnes : vers la liberté

Assurément l’une des personnalités les plus guettées de cette 53ème Quinzaine des Réalisateurs, Luàna Bajrami a su se tailler une place de choix dans le cinéma français. À l’affiche dans Ibrahim de Samir Guesmi, Les Deux Alfred de Denis Podalydès ou encore Portrait de la Jeune Fille en Feu de Céline Sciamma, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’en à peine deux ans, l’actrice a connu un début de carrière fulgurant. Après deux années en production, Luàna Bajrami passe derrière la caméra pour amener à Cannes La Colline où rugissent les lionnes, un premier long-métrage produit entre ses dix-huit et vingt ans. Première représentante du Kosovo à Cannes, candidate à la Caméra d’Or, Luàna Bajrami propose avec ce long-métrage un premier film honorable, où la fougue de la jeunesse prend avec audace le pas sur les contraintes sociales – un appel à la liberté cependant peut-être trop ambitieux pour la jeune réalisatrice, qui peine à tirer son épingle du jeu dans la compétition cannoise.

Sur une colline perdue du Kosovo, Qe, Jeta et Li se jurent une amitié sans failles. Nées dans un petit village de la région, les trois jeunes femmes rêvent d’ailleurs, de s’évader d’un milieu étouffant et de s’élever socialement. Réunissant toutes leurs économies pour postuler à l’université, elles passent ensembles leur journée d’été, unies comme les cinq doigts de la main. Mais quand leurs espoirs sont peu à peu brisés par le réel, les jeunes femmes décident de reprendre leur destin en main et de ne plus rien laisser au hasard. Plus de compromis, plus de renoncements : elles prendront tout ce qui leur revient de droit, fortes et dominantes comme des lionnes.

« La Colline où rugissent les lionnes ne se distingue pas particulièrement par son inventivité. Mais le film reste néanmoins très convaincant par son honnêteté ainsi que par la franchise des actrices et de la réalisatrice, qui parviennent tout de même à maintenir l’intérêt du spectateur tout au long du film. Un film qui a donc le mérite d’exister, que ce soit pour lancer tout à fait correctement la carrière de la réalisatrice comme pour représenter pour la première fois le Kosovo sur la Croisette. »

Pour un premier film kosovien sur la Croisette, Luàna Bajrami fait plutôt honneur à son pays. Tourné dans des zones rurales, définitivement ancré dans ses campagnes, la caméra de la réalisatrice brosse un portrait généreux, manifestant assurément une capacité d’écoute et d’empathie qui augurent du meilleur pour la carrière de la réalisatrice. En saisissant dans le contraste entre les envies de liberté du trio principal et leur attachement à leur village le paradoxe entre l’amour pour ce pays et la sensation de s’y sentir coincée, la réalisatrice fournit une première représentation pleine de sensibilité pour le pays des Balkans. À la fois empathique avec ses jeunes habitantes et affectueuse pour ses paysages, Luàna Bajrami montre une réelle volonté d’écoute, sachant conjuguer son désir de filmer son pays et son désir d’écouter les siennes, exerçant son regard avec beaucoup de maturité. La photographie et les décors donnent assurément un certain charme au film, qui vaut le détour ne serait-ce que pour découvrir cette campagne profonde du Kosovo, où la réalisatrice tente de saisir en filmant la jeunesse l’essence même de son pays et de son avenir.

Mais si le récit que propose Luàna Bajrami est suffisamment étoffé pour permettre de tenir le film et suffisamment général pour toucher le public, il ne parvient pourtant pas à être quelque chose de plus. La Colline où rugissent les lionnes se perd quelque part entre Mustang et The Bling Ring, peinant pourtant à atteindre réellement la crédibilité de ses modèles. Si les performances des actrices sont tout à fait convaincantes, le problème réside plutôt dans leur direction : le portrait de la quête de liberté des jeunes femmes est comme affaibli par certaines simplicités narratives, de la comparaison insistante avec les lionnes à l’invocation assez peu subtile de l’Assommoir d’Émile Zola par la réalisatrice. À cela, il faut ajouter une fin assez abrupte, véritable occasion manquée de marquer la mémoire du spectateur, qui laisse sur sa faim avec une séquence finale dont l’effet est malheureusement complètement désamorcé. Une conclusion ratée que l’aplomb de l’équipe du film permet quelque peu d’oublier : pariant tout sur l’énergie et le magnétisme de la fougue de la jeunesse, Luàna Bajrami parvient tout de même à sauver les meubles avec sa franchise touchante, qui laisse espérer un parcours intéressant pour ses prochains films.

3.5

RÉALISATEUR : Luàna Bajrami
NATIONALITÉ : Française, Kosovienne
AVEC : Flaka Latifi, Uratë Shabani, Era Balaj
GENRE : Drame
DURÉE : 1h23
DISTRIBUTEUR : Le Pacte
SORTIE LE 27 avril 2022