La Bête dans la jungle : une histoire du temps et de l’amour

Nouveau long-métrage de l’Autrichien Patric Chiha, La Bête dans la jungle situe son récit à l’intérieur d’une discothèque, lieu dansant plein d’ondes positives où deux personnes vont se rencontrer, s’aimer platoniquement sur plusieurs décennies. Avec comme seul décor cet établissement nocturne, le cinéaste raconte une rencontre conceptuelle s’établissant au gré de danses frénétiques, de musiques festives et d’esprits libérés. Les sonorités musicales différentes révèlent l’histoire des genres musicaux, ainsi qu’un récit amoureux singulier s’étalant sur vingt-cinq ans, cependant terni par cette chose tapie dans l’ombre de cette boîte de nuit, cette bête destructrice s’apprêtant à bondir pour emporter les âmes de ces danseurs passionnés. En adaptant cette œuvre de l’écrivain Henry James, Patric Chiha continue de méditer sur les relations, dans la continuité de Domaines ou de Boys like us, en contemplant également les instants fiévreux des soirées animées, les années qui défilent, emportant avec elles les illusions d’une jeunesse insouciante.

Durant vingt-cinq ans, dans une discothèque, May et John apprennent à se connaître, mais un danger invisible vient compromettre l’espoir d’entretenir une union.

La Bête dans la jungle s’appuie sur une structure unique, purement conceptuelle, utilisant comme décor cette piste de danse, où les mouvements des corps traduisent, pour ces deux personnages, l’envie d’entamer un rapprochement intime, d’esquisser une relation rythmée par le son et les pas endiablés. Entre eux va se tisser une proximité platonique prise dans le piège du temps et de la société changeante.

Ce que raconte Patric Chiha est un amour rempli de mystère, jouant sur le désir, les fantasmes, le réel et l’irréel, entre May et John, celui-ci attendant un triste événement dont on ne sait que peu de choses au départ et qui va surgir au milieu des années 1980, répandant la mort sur son sillage. L’histoire de ce film expose une union amicale prenant ensuite un chemin vers des sentiments plus profonds, un amour qui se dessine et ne se concrétise pas, mais dont on devine les contours. Vêtu d’un pull rouge, ce jeune homme à l’allure renfermée, à la posture droite et rigide, regarde cette May dansant au milieu de cette piste illuminée, la regardant intensément, du haut de l’étage de cette discothèque. Avec cette mise en scène, le cinéaste exprime cette forte attirance, le regard et l’attitude trahissant le brûlant désir de se rapprocher de cette femme désirable et attirante. Patric Chiha développe ensuite son cheminement, décrivant le début d’une relation qui va perdurer pendant de nombreuses années. Passionnante et entêtante, aussi enivrante, celle-ci va révéler la présence d’une force invisible, d’un mal, d’une bête que John attend, guette, compromettant les chances d’un amour durable. C’est tout l’attrait de La Bête dans la jungle, œuvre-concept, mystérieuse, qui n’est ni plus ni moins qu’un symbole du temps défilant à grande vitesse, avec son lot de désillusions, d’attentes, et de déceptions. En effet, le film raconte le parcours de deux personnages perdus dans le présent, se cherchant un avenir sans véritablement le trouver, se perdant ainsi dans les couloirs du temps, passant alors à côté de ce que la vie propose. L’établissement de nuit devient un lieu où May et John finissent par être spectateurs de leur existence, restant dans une passivité, presque dans une lassitude, contemplant devant eux le spectacle d’une société en mutation, d’une musique de plus en plus innovante, du disco à la techno. Patric Chiha filme avec brio ces éléments, ces décennies, et donc ce duo subissant les quelques changements sociétaux. La Bête dans la jungle n’est pas une histoire d’amour ordinaire, simplement l’exemple même d’une jeunesse dont les codes vont progressivement changer. Le mystère contenu dans le roman ainsi que dans ce film procure tout le piment nécessaire, le scénario faisant appel à notre imagination et proposant pléthores de questionnements philosophiques. Qu’est-ce que la vie ? Quelle est l’importance de notre existence ? Comment doit-on la gérer?… Autant de questions existentielles auxquelles ce long-métrage tente de répondre, tout en surprenant.

Voici un terme qualifiant complètement la nature de La Bête dans la jungle, dont l’aspect fascinant nous plonge dans un état hypnotique, où nous tentons de comprendre les rouages de cet amour platonique, à la découverte de May et John, deux êtres humains en perdition.

La quête de soi est sans doute ce qui traverse le film, Patric Chiha s’amusant à écrire des psychologies perturbées par un manque de confiance, une incertitude envers l’avenir, et la sensation amère de passer à côté des choses. C’est le cas pour John, personnage énigmatique, pauvre, sans famille, cherchant probablement chez May l’occasion de s’élever socialement. Incarnée par Anaïs Demoustier, la jeune femme est plus ouverte, extravertie, mais tout de même tourmentée par ce qu’elle est, recherchant dans cette boîte de nuit cet amusement si essentiel à son bien-être. Bien que légèrement opposés, ils se rapprochent, avec le simple souhait d’obtenir une connexion humaine. Ce qui est magnifique, c’est de voir à quel point ils s’unissent, malgré leurs différences et leurs tempéraments contraires, tentant ainsi d’évoluer dans une humanité les rejetant. Plus qu’une bataille pour la vie, c’est un combat pour exister, alors que cette bête sort de l’ombre pour diffuser le malheur. Les deux interprètes sont fantastiques, en commençant par Tom Mercier, exceptionnel dans cette composition d’homme à l’attitude froide, inexpressive et immobile face à une Anaïs Demoustier aussi séduisante que soucieuse. Quant à l’atmosphère, elle traduit bien l’enfièvrement d’une jeunesse dansante. Patric Chiha la fait danser, les bras levés, les chorégraphies symbolisant la libération de l’esprit, ces attitudes muettes étant quasiment la preuve d’une insouciance, presque un cliché de la vie moderne et ses multiples codes. Aspect essentiel du film, la danse évoque, encore aujourd’hui, ce sentiment festif effaçant les affres de l’existence. Dans La Bête dans la jungle, elle tient le rôle de rempart face à une menace réelle, aussi un moyen de s’exprimer. Quant au lieu même, il en devient hypnotisant tellement il est sublimé par une beauté visuelle incitant à se mouvoir frénétiquement. Béatrice Dalle joue une femme remplissant la fonction de physionomiste dont la voix reconnaissable narre les événements, telle une intermédiaire dans cette relation non pas magique, mais terriblement fascinante.

 

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RÉALISATEUR : Patric Chiha
NATIONALITÉ :  France- Belgique- Autriche
GENRE : Drame
AVEC : Anais Demoustier, Tom Mercier, Béatrice Dalle
DURÉE : 1h 43
DISTRIBUTEUR : Les Films du Losange
SORTIE LE 16 aout 2023