Laura Luchetti a remporté le prix Découverte FIPRESCI pour Fiore gemello au Festival de Toronto 2018, mais sa notoriété reste encore discrète en France. Avec La Bella estate, présenté au Festival de Locarno et adapté d’une oeuvre de Cesare Pavese, la cinéaste italienne devrait accéder à une reconnaissance plus large, car le film possède de nombreux atouts en sa faveur. Il allie la précision de la mise en scène à la profondeur du récit. Il s’agit d’une carte postale éblouissante de l’Italie, malgré le contexte du régime fasciste.
1938, à Turin. Ginia a quitté avec son frère le foyer familial pour trouver du travail en ville. Elle se montre particulièrement créative pour la couture dans l’atelier où elle est employée tandis qu’elle est fascinée par sa rencontre avec une jeune femme modèle pour des artistes.
Laura Luchetti signe une œuvre féministe qui accorde une place prépondérante aux femmes, dont elle loue la beauté physique et corporelle.
La Bella estate est un film résolument centré sur les femmes, réalisé par une cinéaste talentueuse qui aborde la féminité dans un État fasciste dirigé par Benito Mussolini. L’intrigue se déroule en 1938, à Turin. L’Europe n’a pas encore sombré dans la guerre, mais les régimes totalitaires ont déjà pris le pouvoir. En Italie, la dictature mussolinienne est bien en place. Un discours du Duce résonne dans les rues de Turin. Ginia, apprentie couturière dans un atelier de mode, ferme ses volets pour ne pas l’entendre. Laura Luchetti esquisse brièvement le contexte politique, mais se concentre avant tout sur ses deux personnages féminins. L’une d’elles, Amelia, interprétée par Deva Cassel, incarne la beauté de la femme italienne : apprêtée, maquillée, élégante, toujours impeccable. Elle initie Ginia, issue d’un milieu modeste et vivant avec son frère, au plaisir de la pose picturale. La réalisatrice sublime le corps féminin, ignorant délibérément les règles dictatoriales et le machisme ambiant de l’époque. Elle offre un film sensible sur la quête du désir et de la séduction, tout en racontant l’histoire de jeunes femmes qui s’émancipent des lois et des conventions sociales. La jeune couturière passionnée de stylisme tente d’échapper à un destin professionnel tout tracé.
Beau et intelligent, La Bella estate aborde la condition des femmes et leur quête d’émancipation.
La réalisatrice dresse le portrait de combattantes qui utilisent leurs atouts pour s’affirmer et exister dans un pays alors à l’aube d’une longue guerre. Le film explore également le concept de la beauté, que deux peintres fauchés cherchent à capturer sur toile. La restitution picturale devient le cœur d’une narration qui idéalise l’anatomie féminine, rendant tout cela magnifiquement esthétique, à l’image de ce qu’est la femme. Laura Luchetti tisse également une histoire d’amour lesbien entre les protagonistes. La Bella estate redonne des couleurs vibrantes au cinéma italien. Par moments, une touche de néoréalisme apparaît, même si le film se déroule dans l’Italie de 1938, avec une économie encore relativement prospère. La différence de classes sociales constitue un élément important du film, la ruralité misérable des campagnes étant constamment comparée à l’aisance des classes turinoises. On notera la remarquable prestation de Deva Cassel, fille de Vincent Cassel et de Monica Bellucci, dont la prestance apporte une grande envergure à son personnage, véritable symbole de l’élégance à l’italienne. Face à elle, Yile Yara Vianello livre une performance tout aussi intense, volant parfois la vedette à sa partenaire. Les deux héroïnes se distinguent par leurs styles et caractères opposés, mais leur amitié inattendue constitue le socle d’un film féministe qui aurait tout aussi bien pu s’intituler Bella Donna.
RÉALISATRICE : Laura Lucchetti NATIONALITÉ : Italie GENRE : Drame AVEC : Yile Yara Vianello, Deva Cassel DURÉE : 1h51 DISTRIBUTEUR : Outplay Films SORTIE LE 27 novembre 2024