Le nouveau film du cinéaste italien Emmanuele Crialese était présenté en compétition à la dernière Mostra de Venise. Après la révélation que fut Respiro en 2003 et des œuvres plutôt inégales (Golden Door, 2007 ou Terraferma, 2013), L’immensità est un projet très personnel, pensé depuis longtemps et sans cesse repoussé par son auteur.
Le cinéaste a puisé dans ses souvenirs, certains plus précis que d’autres, et livre ainsi un voyage à travers la mémoire. Le film se déroule à Rome dans les années 70. Clara et Felice Borghetti ne s’aiment plus mais sont incapables de se quitter. Désemparée, Clara trouve refuge dans la relation complice qu’elle entretient avec ses trois enfants, en particulier avec l’aînée née dans un corps qui ne lui correspond pas. Faisant fi des jugements, Clara va insuffler de la fantaisie et leur transmettre le goût de la liberté, au détriment de l’équilibre familial.
Le principal problème du long métrage, et pas des moindres, est qu’il aborde bien trop de sujets à la fois
A y regarder de plus près, on retrouve bien la thématique déjà présente dans la filmographie de Crialese : la famille dysfonctionnelle, une structure qui n’est pas en mesure d’apporter la sécurité ou une quelconque protection aux enfants. L’immensità aborde également la question de l’identité de genre à travers le personnage d’Adriana (interprété avec beaucoup de sensibilité par Luana Giuliani, une vraie découverte). Le principal problème du long métrage, et pas des moindres, est qu’il aborde bien trop de sujets à la fois. A ceux déjà cités, il convient de rajouter les problèmes de couple, la place de la femme dans une société italienne certes qui évolue mais qui reste à bien des égards encore conservatrice (notamment dans le milieu de la bourgeoisie) ou encore le contexte politique et social (les scènes mettant en scène une communauté d’ouvriers vivant dans un bidonville à quelques mètres de superbes résidences en train de voir le jour). Le film semble ainsi prendre une direction, dès le début, avec l’entrée en scène de Clara (Penelope Cruz), puis s’intéresse à la pré-adolescente, Adriana, avant de revenir sur Clara. La séquence d’ouverture est d’ailleurs trompeuse sur ce point : une femme se maquille, cuisine et se met à chanter et danser avec ses enfants. Mais, très vite, le spectateur a la désagréable impression que chaque sujet ne sera pas réellement traité, juste survolé : il est alors bien difficile de comprendre où veut réellement en venir le cinéaste. On peut apprécier que le film refuse souvent le pathos mais on peut, dans le même temps, regretter qu’il ne s’appesantisse sur les thématiques mises en avant ou du moins qu’il n’en choisisse qu’une seule. C’est le cas, par exemple, du portrait de la jeune Adriana, une adolescente en quête d’identité, qui, en dehors du domicile, se fait nommer Andrea et séduit une jeune fille, et baignant dans un environnement hostile (elle est le témoin de la relation compliquée, parfois violente entre sa mère et son père, lui-même souvent absent, et ne supportant pas le comportement de sa fille). Il est clair que les problèmes liés à cette adolescente ont un impact sur la famille, elle semble d’ailleurs en être le cœur. Mais le film se focalise beaucoup sur Clara, femme à l’esprit libre, ouverte, qui apparaît excentrique aux yeux des autres membres de la famille. La part laissée à la jeune sœur et au frère qui finit par faire ses besoins derrière les portes ou dans les coins est bien plus maigre, ce qui est dommage tant certaines pistes sont là encore suggérées.
Mais, très vite, le spectateur a la désagréable impression que chaque sujet ne sera pas réellement traité, juste survolé : il est alors bien difficile de comprendre où veut réellement en venir le cinéaste
Un autre problème réside dans les scènes clés et l’interprétation de Penelope Cruz. Citons en exemple la séquence où Clara est violentée par son mari, devant les enfants. Peu aidé sur ce coup par ses interprètes, Crialese rate ce qui apparait comme l’un des climax du film. Penelope Cruz semble surjouer à ce moment-là, comme d’ailleurs, à plusieurs reprises. Ce qui est étonnant de la part d’une actrice remarquable et bien plus inspirée (et sans doute mieux dirigée) chez Pedro Almodóvar. Plus tard dans le récit, à l’inverse, elle semble manifester un déficit d’incarnation dans une autre séquence, dans laquelle, devant les femmes de la belle-famille, elle laisse libre cours à sa « folie », aspergeant toute l’assistance avec le tuyau d’arrosage de la piscine. A ce moment précis, elle ne parvient pas à faire vivre à l’écran cette fantaisie, ni à susciter une quelconque émotion, ce qui est un vrai souci lorsqu’une actrice de ce niveau est censée apporter une plus-value au long métrage.
En définitive, cette « immensité » (pour reprendre le titre du film) apparait bien limitée et si l’on ne nie pas le caractère personnel de la démarche, ni sa sincérité (c’est ici clairement une déclaration d’amour à la figure maternelle), on trouve le résultat peu inspiré et bien moins émouvant que ce qu’on était en droit d’attendre.
RÉALISATEUR : Emanuele Crialese NATIONALITÉ : Italie, France GENRE : Drame AVEC : Penélope Cruz, Vincenzo Amato, Luana Giuliani DURÉE : 1h37 DISTRIBUTEUR : Pathé SORTIE LE 11 janvier 2023