L’Étrange Festival : un festival passionnel

ÉTRANGE. Ce terme aux multiples sens de par son étymologie, venant « du dehors, extérieur » et arrivant à « étranger », partant d’« extraordinaire » pour aller jusqu’à l’« hors norme » : ces qualificatifs, on peut dire que la 28e édition de l’Étrange Festival les cumule, à la manière d’un kaléidoscope de qualités. Car qui, en effet, oserait programmer à la fois un cycle espagnol (Vicente Aranda représenté par une Victoria Abril, invitée flamboyante) avec un cycle japonais, une rétrospective philippine avec une mise à l’honneur farsi ? Dans la petite fenêtre – au vaste horizon – à y participer, témoignage.

ÉCARTELÉ. Commencer un jour par Double suicide à Amijima de Masahuro Shinoda et finir sur un Mike de Leon, Kakabakaba Ka Ba [Frissons], c’est en effet non seulement traverser les temps, les géographies, mais aussi les cultures et les genres, de la tragédie à la comédie, et presque inversement parfois, avec cynisme, ou la larme à l’œil. Quand le premier formalise, théâtralise, kabukise, sans jamais une once de dédramatisation, histoire de montrer de quoi est fait le tragique destin de l’homme (et de la femme) dans une société de l’image, du tabou et déjà capitaliste, le second musicalise, ridiculise, déformalise pour offrir un film déjanté qui permet d’oublier qu’on est si peu de choses… car de tout cela, il vaut mieux en rire. À eux deux, les cinéastes – certes incomparables, inclassables, indémodables – témoignent que le cinéma étranger (de patrimoine et hors des frontières) ne laisse toujours pas de marbre, même si au même moment, une figure tout aussi – et même plus – géniale vient, elle, de s’éteindre allant rejoindre la froideur d’un autre marbre… Godard, pourrait-on dire God’s Art, surtout quand il est question de dénoncer la religion chez le Philippin ou la tradition chez le Japonais, face auxquelles seuls l’amour ou la mort peuvent s’ériger…

ÉCLECTIQUE. En continuant avec les séries, qu’elles soient cycle de cinéma farsi avec Diamond 33 de Dariush Mehrjuiou, production de programmes, sur une décennie des années 90 à 2000, pour la vingtaine de courts métrages présentés made in Le Village production, c’est à un cinéma populaire qu’est convié à assister le spectateur, histoire ici de lui faire se souvenir des (belles) choses, et d’autres formes de liberté qu’autorisaient des temps, des territoires, des artistes. Le 7e art devient alors une boîte aux trésors multiples, qu’il caresse le film d’espionnage ou l’image documentée, au service – quasi unique – du plaisir de son spectateur : jusqu’à le faire s’étouffer de rire lorsque des films (longs, clips, pubs) frôlent l’absurde ou le dégénéré du « C’est formidable » (d’un certain Charly Oleg, accompagné de son acolyte le professeur Chroron) au service de la toute-puissance de l’œil, devenu cyclone, en son temps, ou dont le regard n’a pas oublié d’être satirique. Les pattes Mandico, Noé, Hadzihalilovic sont déjà présentes, quand on se souvient du sacré bordel organisé et jubilatoire qu’offrent à voir des Rousseau, Temps, Bruckaert pour n’en citer que quelques-uns. Merci Charles Petit (décédé en février 2022) à qui est dédié tout ceci…

ÉTAT DE L’ART. Enfin, on ne peut oublier que le Festival reste une compétition avec des avant-premières (proches sorties en salle) faites de propositions innovantes, dé-genrées.viantes.générées, dans lesquelles on peut tout trouver ! Du meilleur avec Rimini de l’autrichien Ulrich Seidl au pire avec La Tour du fidèle français de L’Étrange, Guillaume Nicloux, ce sont finalement deux films pas si éloignés que cela qui viennent montrer une condition de l’homme triste, solitaire, violente, malaimante et par là désespérante. Du chaos privé au chaos collectif, d’une miteuse chambre d’hôtel à une miteuse tour de cité, les hommes ne parviennent plus, de la projection de leur futur à la mémoire de leur passé, à exister… jusqu’à la saison nouvelle. C’est qu’à deux jours de l’automne, et comme à l’ouverture, se clôturera l’Étrange avec un film de Corée, le premier avait l’arme, le second a l’épée, et bientôt vous saurez sur qui est tombée celle de Damoclès. Qui qu’il soit, sorti ou non du Triangle of sadness de Ruben Ostlünd [Sans filtre, primé Palme d’or à Cannes 2022], L’Étrange Festival nous aura permis de nous retrouver (en salles, ensemble), de nous éprouver (en débat, sans fumer), et de nous confirmer que l’origine du Festival ! [cf. L’Origine du Mal de Sébastien Marnier passée en AP], avec ou sans piété (découverte de La Piedad d’Edouardo Casanova, waouh !), doit demeurer halluCinée !