Ce premier long métrage du jeune cinéaste Pham Thiên Ân a été l’une des grandes révélations de la Quinzaine des Cinéastes lors du dernier Festival de Cannes. Lauréat logique de la Caméra d’or, L’Arbre aux papillons d’or est un véritable choc esthétique, un road-movie hypnotisant qui, malgré sa durée (près de trois heures), mérite largement d’être découvert en salles.
Après la mort de sa belle-sœur dans un accident de moto à Saïgon, Thien se voit confier la tâche de ramener son corps dans leur village natal. Il y emmène également son neveu de 5 ans, Dao, qui a miraculeusement survécu à l’accident. Au milieu des paysages mystiques de la campagne vietnamienne, Thien part à la recherche de son frère aîné, disparu il y a des années, un voyage qui remet profondément en question sa foi.
La première séquence, splendide, résume à elle seule le film et les intentions de son auteur : à savoir, laisser vivre pleinement les personnages dans le cadre, laisser le temps aux spectateurs de voir et d’entendre
La première séquence, splendide, résume à elle seule le film et les intentions de son auteur : à savoir, laisser vivre pleinement les personnages dans le cadre, laisser le temps aux spectateurs de voir et d’entendre (ce qui est, par essence, le rôle du cinéma). Trois garçons assis à une terrasse de bar parlant de Dieu pendant qu’une partie de football se déroule à proximité en nocturne et qu’une hôtesse les incite à choisir une marque de bière. Le vent se lève et la pluie se met à tomber. On entend alors un bruit sourd puis, à l’issue d’un panoramique horizontal, la caméra vient révéler l’accident de scooter survenu dans la rue de Saïgon à quelques mètres et qui semble lancer l’histoire.
C’est clairement cette façon de juxtaposer des scènes qui a priori n’ont rien à voir les unes avec les autres (la plupart du temps par un montage cut) qui fascine le plus et interroge constamment la perception de ce que nous voyons à l’écran.
Tout au long du récit, Pham Thiên Ân n’aura de cesse de répéter ce procédé qui emprunte aux codes du genre documentaire. La réalité semble surgir dans le cadre sans que la caméra ne s’arrête. Les plans-séquences, les mouvements de caméra ainsi que l’attention portée aux détails renforcent cette impression de récit hypnotique, dans lequel le spectateur se retrouve littéralement immergé. L’arrivée à moto du personnage principal, Thien, dans un village de la campagne vietnamienne à la recherche d’un autre protagoniste laisse peu à peu la place à la confession de cet homme qui évoque, alors que la caméra se rapproche de lui, sa guerre du Vietnam alors qu’il combattait le Viêt-Cong. Moment étonnant, passage de la fiction au documentaire, changement de temporalité, du présent au passé. Cet espace-temps brouillé se retrouve dans l’une des plus belles scènes de L’Arbre aux papillons d’or : après avoir rencontré son amour de jeunesse (une jeune femme devenue missionnaire), Thien se promène dans les ruines d’un bâtiment, avant de la retrouver sur le toit et de l’enlacer. A-t-il vu un « fantôme », ou sommes-nous en train de découvrir une scène passée (un souvenir heureux qu’il serait en train de se remémorer) ? C’est clairement cette façon de juxtaposer des scènes qui a priori n’ont rien à voir les unes avec les autres (la plupart du temps par un montage cut) qui fascine le plus et interroge constamment la perception de ce que nous voyons à l’écran. Ce sens aigu s’illustre à de nombreux moments du long métrage : on peut citer, par exemple, ces transitions géniales entre un plan de Thien circulant à moto avec en fond sonore une chanson émouvante, un autre le situant dans un bar à karaoké saturé de couleurs vives (la musique sert d’ailleurs de raccord), puis un dernier le montrant sur sa moto, filmé de dos, sur une route envahie par le brouillard. Ou encore mentionner les moments de rêve que vit intensément Thien : tantôt la caméra se rapproche étrangement d’un bœuf, tantôt est imaginée la présence du frère qui s’est pourtant volatilisé. Ainsi, dans la deuxième partie du long métrage, la réalité cède la place au rêve, au sacré même, donnant un aspect flottant à l’ensemble.
Ce film-fleuve contemplatif est bel et bien l’histoire d’une quête. Celle de Thien qui, certes, part sur les traces d’un frère disparu mais surtout à la recherche de lui-même. Le voyage est tout à la fois humain et mystique, sensoriel et mystérieux à l’image de la découverte de l’arbre dont il est question dans le titre. Cette quête intérieure et spirituelle est dévoilée lors d’une scène banale en apparence : sa moto étant en panne, Thien s’arrête dans une sorte de garage et s’assoit pour boire un verre. Il y rencontre une vieille femme qui l’interpelle : « depuis combien de temps négligez-vous votre âme ? » Le fait d’accompagner la dépouille de sa belle-sœur vers son village natal et de retrouver son frère se double d’une réflexion sur notre rapport à la nature (Thien est un citadin vivant à Saïgon qui revient dans sa région rurale natale, il est donc également question de racines) mais aussi sur la foi (la nôtre mais aussi celle du protagoniste principal), les croyances et les superstitions.
Par son coté radical (que ce soit par sa longueur que par sa lenteur), L’Arbre aux papillons d’or se rattache aisément à un certain cinéma asiatique, dont il serait une « nouvelle pousse » plus que prometteuse
Par son coté radical (que ce soit par sa longueur que par sa lenteur), L’Arbre aux papillons d’or se rattache aisément à un certain cinéma asiatique, dont il serait une « nouvelle pousse » plus que prometteuse. On pense à l’univers du cinéaste thaïlandais Apichatpong Weerasethakul notamment dans l’importance accordée à l’environnement et aux animaux (malgré quelques nuances liées au recours plus prononcé à la mythologie) ou à celui du Chinois Bi Gan à la fois pour l’aspect onirique, le travail sur le temps ou tout simplement pour les prouesses techniques qui avaient ébloui les cinéphiles dans Kaili Blues et le formidable Un grand voyage vers la nuit.
Exigeant, L’Arbre aux papillons d’or l’est assurément. Il est même probable que sa durée et sa lenteur rebutent plus d’un spectateur. Pourtant il témoigne de la foi de son réalisateur dans les images et plus globalement dans le cinéma. Il constitue surtout un plaisir permanent pour les yeux, diffusant auprès des spectateurs un envoûtement de tous les instants. Enfin, comme l’a si justement déclaré Anaïs Demoustier, la présidente du jury de la Caméra d’or, à Cannes en mai dernier, il marque la naissance d’un cinéaste prodigieux dont on est d’ores et déjà impatient de découvrir la suite de la carrière.
RÉALISATEUR : Pham Thiên Ân NATIONALITÉ : Vietnam, France, Espagne, Singapour GENRE : Drame AVEC : Le Phong Vu, Nguyen Thi Truc Quynh, Nguyen Thinh DURÉE : 2h58 DISTRIBUTEUR : Nour Films SORTIE LE 20 septembre 2023