Kokon : quand la chenille devient papillon

« L’adolescence est le seul temps où l’on ait appris quelque chose. » (Marcel Proust). De là découle qu’il y ait autant de romans et de films sur l’adolescence, période fondamentale de formation et d’apprentissage. La jeune réalisatrice allemande, fort prometteuse, Leonie Krippendorff n’échappe pas à la règle mais distille un charme ineffable en évoquant la vie d’une jeune fille de 14 ans à Berlin à l’ère des réseaux sociaux et des thématiques queer. Kokon est ainsi une jolie chronique estivale sur une souffre-douleur qui n’arrive pas à trouver ses marques et son identité psychologique et sexuelle et qui finira par devenir plus responsable et mûre que ses proches.

En 2018 à Berlin. Nora, 14 ans, traîne avec sa soeur Jule, plus âgée d’un an, et l’amie de Jule, Aylin, d’origine turque. Silencieuse, solitaire et réservée, elle ne sait pas très bien qui elle est ni ce qu’elle veut. Elle se trouve quelconque, entourée de filles très belles. Dans sa chambre, qu’elle partage avec sa soeur, bien plus extravertie, elle élève une chenille dans un bocal. Jusqu’au jour où elle croise une autre fille plus âgée…

Kokon est ainsi une jolie chronique estivale sur une souffre-douleur qui n’arrive pas à trouver ses marques et son identité psychologique et sexuelle et qui finira par devenir plus responsable et mûre que ses proches.

Dans Kokon, on croise au départ les lieux communs propres à l’adolescence : une jeune fille en quête de définition de son existence, à la sexualité tourmentée, se trouvant obligée à un onanisme de circonstance ; la piscine, lieu symptomatique de l’identité flottante et de l’adolescence hésitante, que l’on retrouvait déjà dans Naissance des pieuvres, Somewhere ou Aftersun. D’une certaine manière, si l’on remplace la piscine par l’océan, peu de choses ont changé par rapport à Stella est amoureuse, de Sylvie Verheyde, qui se passait dans les années 80. Quelques différences notables doivent être néanmoins signalées : Leonie Krippendorff se concentre non sur une jeune fille ordinaire mais sur une personne en retrait, un peu le souffre-douleur de sa soeur et de ses amis, frappée du syndrome invisible « Poil de carotte », une exclusion d’autant plus violente qu’elle semble en apparence intégrée. Elle se fait martyriser gentiment par Jule sa grande soeur et son amie Aylin et se fait casser le bras en jouant avec leurs amis. Nora se sent différente mais ne possède pas la distance nécessaire pour savoir pourquoi. Le sexe la tourmente mais elle ne sait pas vers qui diriger son éveil sexuel.

Peu à peu, des bribes d’une conscience queer lui viennent progressivement. Accueillie dans la classe de sa soeur, en raison de son handicap provisoire, elle confesse à une professeure qu’elle serait attirée davantage par les filles que les garçons. La professeure n’y voit pas de mal et lui indique seulement que, quand des corps se rapprochent, quels qu’ils soient, il est normal d’être ému. Par fines touches, Leonie Krippendorff montre ainsi l’éveil progressif d’une conscience queer à l’ère des réseaux sociaux. Elle dynamite la gravité potentielle de son sujet par un humour constant, cf. les deux soeurs qui n’arrêtent pas de jurer sur le Coran. Avec un père absent, mort ou inconnu au bataillon, et une mère très peu présente, Nora et Jule grandissent en se référant sans cesse à Internet, ses réseaux sociaux et ses tutoriels, qui leur apprennent la vie ou plus exactement un simulacre de vie.

Le film bascule soudain lorsque Nora croise Romy, une élève plus âgée qui a déjà redoublé deux fois et se signale par une sexualité très libre. Leur rencontre est filmée comme dans La Vie d’Adèle et la suite de Kokon suivra le schéma du film d’Abdellatif Kechiche, à la différence importante que la trahison ne viendra pas cette fois-ci de la plus jeune. On y retrouvera même à l’identique la scène iconique des deux amantes réunies et marchant ensemble lors d’une Gay Pride berlinoise, ainsi que les scènes de baisers gorgés d’une lumière ensoleillée bienfaisante. Mais celle qui se montrera la plus mature sera donc Nora (Lena Urzendowsky, belle révélation qu’on voit grandir psychologiquement tout au long du film) qui deviendra la grande soeur de sa soeur, lui sauvant la vie d’un risque d’overdose, inversant donc le rapport de forces du début du film. La fin reste d’une délicieuse ambiguïté ouverte et indécidable, Leonie Krippendorff ne montrant pas plus Nora reprendre sa romance avec Romy que se tourner vers d’autres aventures sentimentales. Kokon montre certes la métaphore un peu trop lourdement appuyée d’une chenille se transformant en papillon, cf la scène finale, mais en mélangeant des images tournées par I-phone, accompagnées de nappes somptueuses d’électro-rock, parvient à donner envie de tourner les pages de la chronique caniculaire, sentimentale et contemporaine d’une jeune fille, entre isolement et lesbianisme, d’une justesse et d’une précision absolues. Espérons que Leonie Krippendorff saura faire évoluer ces belles promesses et devenir un beau papillon du cinéma allemand.

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RÉALISATEUR :  Leonie Krippendorff 
NATIONALITÉ : allemande 
GENRE :  Drame, romance 
AVEC :  Lena Urzendowsky, Jella Haase, Lena Klenke, Elena Vildanova
DURÉE : 1h35 
DISTRIBUTEUR : Outplay Films 
SORTIE LE 5 avril 2023