Un premier long-métrage, des non-comédiens plus habitués à cracher des beats en jogging-hoodies qu’à tourner sagement une scène et un sujet ultra-niche (le rap gaélique, pas moins) : il aurait fallu un miracle pour que Kneecap remporte 16 prix officiels majeurs dans 5 grandes compétitions de cinéma dont les BIFA 2024 (notamment meilleur film indépendant britannique) et les BAFA 2025 (premier film prometteur)… Avec cette petite bombe musicale dégoupillée, Rich Peppiatt lâche un biopic qui pulse dans les veines et traite sans concession des combats culturels et linguistiques locaux face aux “grands États”. Si l’actualité du (vrai) groupe est loin d’être favorable à la sortie du film en France (plusieurs prises de position troublantes voire extrémistes, notamment un drapeau du Hezbollah brandi lors d’un concert, entraînent la déprogrammation du trio dans de nombreux festivals d’été), il serait dommage de passer à côté de ce vif 8 mile irlandais.
Depuis leur plus jeune âge, Liam et Naoise apprennent le gaélique sous la tutelle d’Arlo, le père de Naoise et ancien membre de l’IRA. Quand celui-ci disparaît, ils grandissent à Belfast en marge du système, vivant de deals de drogue en tout genre, posant sur le papier des textes de rap sur leur quotidien. Un jour, leur route croise celle d’un professeur de musique. Ils créent alors un groupe, Kneecap, et deviennent le symbole de la survie de leur langue maternelle. Une ascension à haut risque.
Amateur de hip-hop ou non, difficile de ne pas se laisser envahir par la longue vibe vibrante de Kneecap
Kneecap a tout d’un long clip. Rien d’étonnant quand on connaît son réalisateur, Rich Peppiatt, touche-à-tout créatif dont l’éventail s’étend du documentaire à la publicité en passant par le court-métrage et, donc, le clip musical ! Les course-poursuites quasi-dansantes, les scènes d’enregistrement dans le garage poussiéreux qui leur sert de studio, les concerts live sous kétamine et stroboscope : amateur de hip-hop ou non, difficile de ne pas se laisser envahir par la longue vibe vibrante de Kneecap. Le montage est nerveux, tendu, tandis que des graffitis viennent sans cesse s’ajouter à l’image, renforçant sa nature pop, ajoutant une dose de folie dans un récit pourtant bien ancré dans le réel – et à la nature très engagée.
Car derrière l’originalité de la réalisation et les dialogues mordants, Kneecap ne se défile pas, entonnant avec force sa lutte en faveur du particularisme culturel. Les insultes fusent (en gaélique comme en anglais !) mais aucune phrase n’est shootée au hasard. « Chaque mot en irlandais est une balle tirée pour la liberté irlandaise » a répété sans cesse Arlo (joué par Michael Fassbender, acteur irlando-allemand qui incarnait déjà un héros national irlandais dans le très politique Hunger) aux deux kids / gásúir alors qu’ils n’étaient encore (littéralement) que des enfants de chœur.
Dès le début de Kneecap, lors de sa première arrestation après un contrôle de deal à une soirée, refusant catégoriquement de parler « la langue de la Reine » (sous prétexte qu’il ne la connaît pas), Mo Chara se permet un hurlement qui ressemble à celui d’un loup, cri sauvage qui résonne comme la future résistance de son flow. Et lorsqu’il faudra choisir le nom de ce groupe amateur, c’est le terme “kneecap” qui sortira sans préméditation, référence à une pratique violente des groupes paramilitaires pendant le conflit en Irlande du Nord, qui consistait à tirer dans les genoux des prisonniers pour les estropier à vie.
S’inventant acteurs de leur propre biopic, les jeunes Móglaí Bap et Mo Chara, accompagnés de leur aîné DJ Próvai, surprennent tous trois par leur aisance dans le jeu, l’incarnation et le rythme parfait de leurs répliques. Et peut-être encore plus que ses comparses, c’est le jeune Mo Chara qui magnétise chaque scène de sa présence. Difficile pendant 1h45 de trouver où s’arrête le vrai et où commence le faux. Leur humour est-il aussi cinglant que les partitions du scénario qu’ils débitent ? Leur consommation de drogues aussi pléthorique et assumée que ces nuages de cocaïne qui flottent autour d’eux en coulisse et sur scène ? La fiction est ici en tout cas parfaite, et le réel aura assez vite fait de reprendre le dessus.
RÉALISATEUR : Rich Peppiatt NATIONALITÉ : Irlandais GENRE : Biopic, Comédie, Drame, Musical AVEC : Móglaí Bap, Mo Chara, DJ Próvai DURÉE : 1h 45min DISTRIBUTEUR : Wayna Pitch SORTIE LE 18 juin 2025