Kennedy : no country for this man !

 





Minuit, voici l’heure du crime avait écrit le poète Maurice Carême : dans cette Séance de Minuit, ce sera l’heure des crimes au point qu’on ne puisse les compter mais qui nous tiennent… éveillés ! Voici l’histoire de Kennedy – interprété par l’incroyable Rahul Bhat, un ancien mannequin ! –, pseudo récupéré par ce flic – déclaré mort par sa femme – corrompu puisque agissant pour une institution policière totalement corrompue au profit de l’argent qu’elle en retire, et, titre du dernier film de l’indien Anurag Kashyap : cela cache quelque chose, on vous explique !

Le film aurait pu s’appeler Epidemic, pris entre le virus de ses crimes et celui de la corruption montrée, une belle métaphore d’un pays confiné dans ses enjeux de société.

Mumbaï, de préférence la nuit, mais pas que, Uday Shetty vit solitaire – entouré de Chandan, fantôme conseiller du frère d’une star indienne qu’il a tué avec un foulard fleuri que le défunt porte, ce qui le rend moins seul –, séparé de sa femme et de sa fille, après avoir perdu un fils assassiné lors d’une explosion de voiture devant sa porte, ne pouvant être déclaré à la banque, ayant dû quitter son poste officiel de policier pour son goût trop prononcé du meurtre et passé du côté obscur d’une unité spéciale pour faire le sale boulot : le personnage a de quoi être amer et vouloir se venger d’une telle destinée ! Kennedy est en effet pris dans sa nouvelle fonction de tueur à gages anonymé, au sein de la mafia institutionnelle implantée partout – le cinéaste explique que les policiers indiens sont mal payés et une grande partie de leurs revenus provient des bars et des restaurants –, dont les maîtres mots sont pouvoir et argent, par la violence et sans état d’âme. Qu’il soit posté à attendre sa victime dans le bel appartement d’un hôtel de Big Papa – où il tranchera efficacement la gorge d’un homme d’affaires, prendra l’un de ses manteaux pour remplacer le sien éclaboussé de sang – ou dans sa voiture style service Uber, traversant les rues ou les quartiers à la poursuite de la victime, Kennedy a une méthode bien huilée : il prépare, observe, traque, et tue, tout simplement, et de sang-froid, sans se soucier du quoi ni qu’est-ce, tirant à bout portant sur des plus jeunes, plus vieux, des hommes à la fonction politique ou des inconnus trop gênants, quitte à abuser de son zèle. Alors qu’il vit dans un taudis, mais porte des costumes chics, c’est sans stylisation qu’on le voit agir à la manière d’une mission qu’il s’est imposée et d’un objectif tout personnel qu’il a à atteindre : vendetta. Ainsi finit-on par voir que cet homme en colère étouffé finit par jouir de ses propres actes : capable de tuer le neveu d’un criminel sous les yeux d’un témoin, capable aussi de tuer tous les témoins, même indirects, du crime de toute la famille d’un maire de quartier. Autour de lui, faisant passer le film du thriller au film noir – sachant que le cinéaste s’est inspiré aussi de faits divers –, on trouve Rasheed, un chef de police ignoble qui, à présent qu’il a acheté son poste en s’endettant à un prêt dit « requin », mange à tous les râteliers en utilisant ses collègues et un grand criminel – avec qui on le voit échanger sans le révéler à Kennedy qui le recherche –, Charlie, une femme fatale addict au whisky – interprétée par Sunny Leone, ancienne star du X, actrice de Bollywood et vedette de téléréalité ! – qui n’arrête pas de s’esclaffer de rire pour rien, attend ses amants dans l’hôtel – durant qu’elle attend que son amoureux puisse ouvrir un restaurant et se libérer aussi de la corruption –, Saleem, le méchant mafieux exilé à Lisbonne mais qui continue d’œuvrer pour ses intérêts à Mumbai, et que recherche comme une obsession Kennedy. Au milieu des manœuvres, des crimes et du sang, c’est une même image non manquante d’un fils manquant qui revient et l’accompagne sans cesse, dont on comprendra l’enjeu à travers un flash-back sur son passé désastreux. Comme c’est également la permanence d’un masque que Kennedy porte sans cesse venu rappeler que le film a été tourné à l’ère du Covid, donnant au masque son double sens : si le personnage est incognito dans la ville, c’est une manière pour le cinéaste de parler d’affaires douteuses qui se sont passées durant l’épidémie, aggravant une situation déjà catastrophique dans son pays.

Thriller et film noir au service d’un récit engagé de dénonciation et lutte contre la criminalité.

Le film est long, il tourne parfois en rond comme le personnage de Kennedy qu’on voit arrêter sa voiture en pleine route lors d’un feu, en sortir, traverser la rue, remonter par un pont pour y revenir par l’autre côté, histoire d’embrouiller d’éventuelles menaces qui s’en prennent à lui. Il y a de très bonnes idées dans le film – aussi monstrueuses d’ailleurs comme le crime avec une poêle en fonte – comme, malgré le caractère volontairement répétitif des crimes, le montage reste agité au service d’une tension permanente. Signe d’une obsession et d’une folie – on s’en réfère à la citation de Wordsworth étalée sur l’écran en ouverture de récit : « Nous, les poètes de notre jeunesse, commençons dans la joie ; Mais à la fin viennent le découragement et la folie. » -, aggravées par le nombre de scènes nocturnes, l’état du personnage insomniaque – le cinéaste avoue avoir demandé à l’acteur de ne pas dormir durant quelques jours pour que sa fatigue transparaisse –, une musique flamboyante et lyrique quand ce n’est pas un rap ou les chansons d’ouverture et de fermeture d’un cabaret kitsch magnifiquement interprétées par un personnage queer, Kennedy montre la colère d’un héros en miroir de celle de Anurag Kashyap, toujours prêt à dénoncer les déboires qui animent son pays à travers ses petits meurtres en Indie.

3.5

RÉALISATEUR : Anurag Kashyap 
NATIONALITÉ : Inde 
GENRE : Thriller
AVEC : Raul Bhat, Sunny Leone, Megha Burman, Jennifer Piccinato, Prammod Sanghi, Mohit Takalkar
DURÉE : 2h22
DISTRIBUTEUR : 
SORTIE LE Prochainement