Journal de Tûoa : la caméra désœuvrée

Réalisateurs dans un pays n’ayant pas organisé de politiques publiques de soutien à la création artistique durant l’épidémie, Miguel Gomez et Maureen Fazendeiro ont pris le parti de prendre la caméra et de faire du confinement un film, Journal de Tûoa, présenté à la 53ème Quinzaine des Réalisateurs. Aussi minimal que poétique, les expérimentations des réalisateurs et de leur équipe produisent un résultat charmant et original, sans doute le film de cette édition du festival à avoir le mieux su intégrer le confinement à son dispositif cinématographique.

Reclus dans une maison de campagne portugaise, Crista, Carloto et João dansent et font passer le temps. Entre ennui et actions sans but, leurs journées passent à l’envers sous une volière à papillons en chantier et la chaleur des après-midi d’été. Entre fête et ennui dans des décors ensoleillés et pleins de couleur, le temps se délite en même temps que le film perd son fil.

« Spectacle placide de journées d’été qui se délitent et d’un cinéma qui trébuche sur lui-même, Journal de Tûoa prend un plaisir contagieux à se déconstruire en même temps qu’il ne se crée, aboutissant à une expérience de cinéma unique et réussie. Sans doute le film de cette édition du Festival de Cannes à avoir su le mieux mettre l’expérience du confinement au centre de son dispositif cinématographique, Journal de Tûoa est un film expérimental réussi qui saura rester dans les esprits en tant que représentant le plus crédible des films de confinement nés de la pandémie de Covid-19. »

Proposition se distinguant par son originalité au sein d’une sélection pourtant réputée pour ses prises de positions graphiques et narratives innovantes, Journal de Tûoa brille par le contraste entre la force de ses partis pris et la plaisante douceur de son style. Prenant la forme peu répandue d’un journal de bord, innovant en racontant les vingt-deux journées passées à Tûoa à l’envers, le film ne cesse de s’étoffer en même temps qu’il se déconstruit. Comme un auto-sabotage, les scènes de danse et l’intrigue bourgeonnante qui ouvrent le film se délitent en même temps que le temps recule, chaque scène perdant son sens en même temps qu’on découvre les coulisses de sa naissance. Plus l’histoire se déforme, plus les artifices du cinéma se brisent, chaque rouage de la fabrique du cinéma se dévoilant à l’écran comme s’ils tombaient tout juste de la caméra. Quelque part entre les narrations embrouillées d’un Hong Sang-Soo et l’absurdité d’un temps interminable de En attendant Godot, Journal de Tûoa est un film qui se tire dans les pieds en permanence, mais qui parvient à faire de ses échecs et de ses errements un spectacle doucement comique et attachant. Une introspection originale sur la pratique cinématographique, au temps du Covid-19 et de l’arrêt total de l’industrie du cinéma portuguais.

Cherchant à reproduire l’expérience d’un temps qui se délite et d’un quotidien oscillant entre inactivité et placidité. Journal de Tûoa parvient ainsi par la radicalité de ses partis pris à mettre l’expérience du confinement au cœur de son dispositif cinématographique. Car plus qu’un simple thème narratif, l’enfermement et le délitement du temps deviennent pour les deux réalisateurs le fondement même du film. Divisant leur long-métrage en deux films parallèles, les réalisateurs mettent en jeu parallèlement l’histoire d’un film qui se cherche sans jamais réussir à se trouver et l’histoire d’un tournage catastrophique. Profitant du confinement et de l’épidémie pour interroger à la fois comment la vie continue et comment le cinéma continue à l’heure de l’arrêt total d’une société, Miguel Gomes et Maureen Fazendeiro renvoient le miroir à la fabrique du cinéma, transformant l’expérience du confinement en une expérience cinématographique à tous les niveaux, que ce soit dans l’interprétation des acteurs, le déroulement de l’intrigue ou le montage. Si le film de confinement devait devenir un genre, il ne fait alors aucun doute que Journal de Tûoa serait à la fois son fondateur et son meilleur représentant.

Spectacle placide de journées d’été qui se délitent et d’un cinéma qui trébuche sur lui-même, Journal de Tûoa prend un plaisir contagieux à se déconstruire en même temps qu’il se crée, aboutissant à un résultat unique et original. Sans doute le film de cette édition du Festival de Cannes à avoir su le mieux mettre l’expérience du confinement au centre de son dispositif cinématographique, Journal de Tûoa est un film expérimental réussi qui saura rester dans les mémoires en tant que représentant le plus crédible des films de confinement nés de la pandémie de Covid-19.

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RÉALISATEUR : Miguel Gomes, Maureen Fazendeiro
NATIONALITÉ : Portuguaise
AVEC : Crista Alfaiate, Carloto Cotta, João Nunes Monteiro
GENRE : Comédie, Expérimental
DURÉE : 1h38
DISTRIBUTEUR : Shellac
SORTIE LE 14 juillet 2021