Jeanne du Barry : portrait d’une intrigante

La question du féminisme se trouvera sans doute au centre des débats du Festival de Cannes cette année. Pour son film Jeanne du Barry qui possède l’insigne honneur d’ouvrir le Festival en 2023, Maïwenn, la cinéaste et actrice controversée, revendique l’étiquette de féministe pour cette histoire d’une libertine vantée pour son esprit et sa grande beauté, qui connut le grand amour en devenant la maîtresse de Louis XV. En dépit d’un brillant esthétisme qui renouvelle le style cinématographique de Maïwenn, Jeanne du Barry se signale surtout par une certaine inconsistance du fond. les deux acteurs principaux du film ne parvenant guère à incarner leurs modèles historiques et à faire croire un seul instant à leur histoire d’amour.

Jeanne Vaubernier, fille du peuple avide de s’élever socialement, met à profit ses charmes pour sortir de sa condition. Son amant le comte Du Barry, qui s’enrichit largement grâce aux galanteries lucratives de Jeanne, souhaite la présenter au Roi. Il organise la rencontre via l’entremise de l’influent duc de Richelieu. Celle-ci dépasse ses attentes : entre Louis XV et Jeanne, c’est le coup de foudre… Avec la courtisane, le Roi retrouve le goût de vivre – à tel point qu’il ne peut plus se passer d’elle et décide d’en faire sa favorite officielle. Scandale : personne ne veut d’une fille des rues à la Cour.

Le film commence sagement comme un joli livre d’images où en voix off, un narrateur nous conte l’édifiant parcours de celle qui devint Madame Du Barry. On a en effet un peu l’impression de revivre un conte de fées à la Cendrillon ou Pretty Woman, où une jeune femme s’élève de sa condition initiale pour discutailler avec les beaux esprits de la Cour du Roi. Pour ce parcours édifiant, à défaut sans doute d’être exemplaire, Maïwenn revendique l’étiquette de féministe. Elle s’amuse d’ailleurs à coller à beaucoup de répliques un « moi aussi » assez provocateur. Depuis le 5 août 2017, on sait que le féminisme présente au moins deux visages : d’une part, celui de celles qui défendent les victimes de prédateurs ou agresseurs sexuels ; d’autre part, celui de celles qui défendent ou trouvent des circonstances atténuantes aux mêmes, soit aux hommes en général. Maïwenn se range d’emblée dans la seconde catégorie, n’hésitant pas à tourner avec Johnny Depp. à applaudir Polanski et à chercher des excuses à son ex-mari, un certain Luc Besson.

On peut comprendre le phénomène d’identification qui l’a poussée à mettre en chantier un biopic de la célèbre Madame du Barry : issue d’un milieu modeste, Madame du Barry, tout comme Maïwenn, a su exploiter sa grande beauté pour se faire connaître et a fini par tomber dans les bras d’un homme de pouvoir, un roi, qui plus est, dans le film et l’Histoire. Le souci, c’est que, dans le film, le parcours opportuniste ne s’incarne pas dans une véritable histoire. Maiwenn montre les choses, non pas comme les éléments d’une progression, mais comme un état donné et acquis, nullement remis en cause par la personnalité hors norme de Madame du Barry. Cette dernière gravit les échelons des cercles d’influence, de manière naturelle, presque comme s’il s’agissait d’un dû. Par conséquent, en faire une héroïne féministe alors qu’elle semble surtout s’être laissée porter par le courant, peut susciter les doutes et les polémiques. La révolte de Madame du Barry semble surtout sinon imperceptible, du moins invisible.

Pour incarner cette grande figure, il eût peut-être fallu une autre actrice que Maïwenn qui nous connecte surtout à l’aspect enfant gâté du personnage, davantage qu’à sa douleur et sa felûre, Elle a rêvé de ce beau personnage pendant des années, depuis qu’elle a vu Asia Argento dans ce rôle dans Marie-Antoinette de Sofia Coppola, mais sans doute n’était-elle pas, en dépit de sa grande beauté, l’actrice idéale pour incarner soit le calcul et la rouerie du personnage, soit son innocence et sa naïveté, sans compter le fait non négligeable qu’elle ne présente plus vraiment l’âge du rôle. Face à elle, Johnny Depp compose, quelque peu handicapé par un léger accent américain, un personnage de roi surpris et foudroyé par l’amour. Malheureusement, aucune crédibilité n’émane du couple formé par Louis XV (Johnny Depp) et Madame du Barry, ce qui s’avère plus que gênant, leur histoire formant le coeur et l’essentiel du film. Maïwenn a le grand tort de filmer cette relation aussi douloureuse que torturée, comme un joli livre d’images, au pluriel. Elle a certes accompli des progrès ahurissants quant au cadrage et à la photographie, ce qui lui servira certainement pour des films futurs, mais transforme cette histoire d’amour en ode à son égocentrisme, au lieu de se détourner d’elle-même pour s’intéresser aux autres. Peut-être une prochaine fois…

2.5

RÉALISATEUR :  Maïwenn  
NATIONALITÉ : française 
GENRE : biopic, historique
AVEC : Maïwenn, Johnny Depp, Benjamin Lavernhe, Pierre Richard, Melvil Poupaud 
DURÉE : 1h56 
DISTRIBUTEUR : Le Pacte 
SORTIE LE 16 mai 2023