Iron Claw : les quatre frères

A quoi reconnaît-on un bon metteur en scène? A réussir à nous faire croire à une réalité, à un univers recréé, à parvenir à obtenir la même réussite en changeant de style et de genre, à nous transmettre une certaine vision du monde par le biais d’histoires variées. Si c’est le cas, Sean Durkin est véritablement un très bon metteur en scène. D’origine canadienne, il représente sans doute la relève des grands metteurs en scène comme David Cronenberg ou Atom Egoyan. Rare et peu prolifique, il a livré trois films et une série en treize ans. Il est difficile de percevoir des points communs a priori entre Martha Marcy May Marlene, (Prix de la mise en scène à Sundance en 20), magnifique premier film sur une jeune femme souffrant d’hallucinations et de paranoïa, révélant la talentueuse Elizabeth Olsen, The Nest (Grand Prix au Festival de Deauville en 2020) sur une famille américaine s’installant dans un manoir anglais, et enfin Iron Claw, sur une dynastie de catcheurs américains vivant au Texas : peut-être les thèmes prégnants de la famille, des troubles psychologiques et de la malédiction tragique du destin. Iron Claw confirme en tout cas toutes les promesses qu’avait laissées ce cinéaste surdoué qui construit discrètement une oeuvre en marge du cinéma dominant, mais peut-être essentielle.

Dans les années 60, Fritz Von Erich fait vivre sa petite famille composée de Doris, sa femme et de ses enfants, en participant à de sauvages combats de catch. Des années plus tard, la famille s’est agrandie, composée de quatre fils, tous sportifs : Kevin, catcheur comme son père, David, catcheur comme Kevin, Kerry, espoir américain du lancer de disque, et enfin Mike le benjamin, qui cultive une préférence pour la musique… Fritz, devenu propriétaire de la World Class Championship Wrestling, veut pousser un de ses fils à se présenter pour le titre de Champion du Monde qui lui a toujours échappé…

Exceptionnel, Un mélodrame tragique sur une famille maudite, dont la malédiction n’a rien à envier à celle des Atrides.

Le film commence fort et n’élude rien de la sauvagerie et la violence inhérentes à la pratique du catch, l’un des sports les plus rudes existants : gorge étranglée, front enserré, coups de boutoir, etc. Sur le ring, la violence règne sans partage, même si elle est ritualisée, mine de rien, par des règles précises. Filmé en noir et blanc, ce combat ultra-violent de Fritz Von Erich rappelle dans le domaine de la boxe Raging Bull de Scorsese (ce qui n’est pas une piètre comparaison) et pourra rebuter les personnes qui n’appartiennent pas aux spectateurs réguliers des combats de catch. Ces derniers pourront parfois décider de quitter la salle, tant ce spectacle n’est pas a priori destiné aux amoureux de la poésie.

Ils auront pourtant tort, car, passé ce préambule assez houleux, Iron Claw (du nom d’une prise de catch) possède bien d’autres choses à offrir et se métamorphose plusieurs fois. Filmé cette fois-ci en couleur et situé à la fin des années 70 – au début des années 80, le film de Sean Durkin évoque cette fois-ci Rocky, en prenant le rythme de croisière des championnats du monde et des rencontres de catch. Mais le film opère enfin sa dernière métamorphose et révèle sa véritable nature que Sean Durkin, en très bon metteur en scène, avait soigneusement cachée : celle d’un mélodrame tragique sur une famille maudite, dont la malédiction n’a rien à envier à celle des Atrides.

Si Iron Claw est aussi réussi, c’est en raison d’une exceptionnelle direction d’acteurs. Sean Durkin a su réunir une distribution parfaite, en faisant appel à des vétérans des séries TV et de jeunes talents prometteurs : Holt McCallany (Mindhunter), terrifiant dans le rôle du patriarche, Maura Tierney (Urgences, Insomnia) qui, en une seule scène, celle de la robe de deuil, s’approprie le film, Harris Dickinson (Sans Filtre, Beach Rats), Jeremy Allen White (Shameless, The Bear), la révélation Stanley Simons dans le rôle du jeune Mike, et Lily James (Baby Driver, Pam et Tommy). Dans toute cette distribution étincelante, iIl faut faire un sort à part à Zac Efron qui est peut-être en train de réaliser une McConaughey (du nom de l’acteur qui est passé de bluettes comme Comment se faire larguer en 10 leçons ou Sahara à des drames comme Mud, Killer Joe ou Dallas Buyers Club). Comment croire en effet que le jeune minet de Nos Pires voisins ou Alerte à Malibu allait un jour nous émouvoir autant en prononçant simplement ces mots : « j’étais un frère« . Sobre, retenu, intériorisé, Zac Efron pourrait avoir une belle maturité, si les metteurs en scène lui en donnent l’opportunité.

Exceptionnel directeur d’acteurs, narrateur expérimenté sachant réserver ses effets, Sean Durkin est également un très bon metteur en scène qui n’a pas besoin de beaucoup d’éléments pour faire comprendre la tournure tragique du destin : un fondu au noir après une moto roulant sur une route nocturne, une pièce de monnaie, des vues en plongée sur les combats (vision de Dieu?), une barque abordant une rive…. Le film évoque tour à tour la détresse et la solitude existentielles d’autres grands films de combat comme The Wrestler, la déchirante quête de Darren Aronofsky, Foxcatcher de Bennett Miller ou Warrior de Gavin O’Connor.

Selon les interprétations, Iron Claw peut être considéré comme une critique sévère et impitoyable du patriarcat, le père, Fritz Von Erich, poussant à la ruine et la désolation ses fils, afin de réaliser ce qu’il n’a pu concrétiser du temps de sa jeunesse, ou une parabole sur la malédiction mélodramatique poursuivant une famille, sans justification apparente. Il s’agit, bien plus que d’un film sur le catch, – même s’il ne fait pas l’économie de terrifiantes scènes de combat – d’une oeuvre sur une famille souhaitant réussir aux Etats-Unis, un peu comme la dynastie des Corleone. Le plus effarant, c’est que la famille Von Erich existe véritablement et a traversé tous les événements que nous voyons à l’écran. Pendant le film, en dépit de la différence théorique existant entre nous et les personnages, on s’attache indéniablement à eux, à leur famille. Parvenir à nous faire comprendre ce que nous avons de commun avec des gens a priori complètement dissemblables, nous faire ressentir comme une partie de l’humanité, connectée à des gens avec qui nous ne partageons rien, cela relève des dons d’un grand metteur en scène. Sean Durkin est un grand metteur en scène.

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RÉALISATEUR : Sean Durkin 
NATIONALITÉ :  américaine 
GENRE : drame, biopic 
AVEC : Zac Efron, Jeremy Allen White, Holt McCallany, Harris Dickinson, Stanley Simons, Maura Tierney, Lily James
DURÉE : 2h13 
DISTRIBUTEUR : Metropolitan FilmExport 
SORTIE LE 24 janvier 2024